MARCEL GAUCHET
“NOUS TRAVERSONS UNE CRISE PROFONDE DE L’HÉGÉMONIE
Justement, comment analysez-vous la montée en puissance des partis dits populistes ?
« Populisme » est une notion fourre-tout dont la première fonction est de prendre la relève du terme de « fascisme », devenu obsolète. Elle n’est pas entièrement absurde dans la mesure où elle correspond à une revendication en effet inscrite dans les gènes de nos sociétés qui est la souveraineté du peuple. Mais que je sache, c’est le principe général de fonctionnement de nos sociétés. Je ne connais que des démocraties populistes. Disons-le, nous sommes tous populistes ! Et il y a effectivement une revendication de souveraineté du peuple face à une série de défis qui créent un sentiment de dépossession démocratique, que ce soit le fonctionnement de l’Union européenne ou le jeu de forces économiques sur lesquelles personne n’a plus de prise. La situation migratoire représente un autre défi à un principe fondamental de nos régimes qui est la capacité de contrôler l’espace dans lequel on vit et la définition même de la communauté où chacun s’inscrit. Le système politique majoritaire au nom de la nécessaire construction européenne, au nom de la globalisation et des droits de l’homme, a décrété que ces questions n’existaient pas. Elles se sont donc exprimées hors système par l’irrépressible montée du FN. C’était prévisible.
Le système politique des partis dits de gouvernement se doit d’intégrer ces revendications fondamentales et de leur apporter des réponses s’il ne veut pas qu’elles se développent en dehors de lui, au risque de le paralyser ou de le submerger. A lui d’inventer un langage acceptable pour les traiter et des moyens réalistes d’y porter remède, mais c’est une interpellation à laquelle il n’est plus possible de se soustraire.
Vous avez déclaré que François Fillon pouvait faire barrage au FN. Pourquoi ?
Je n’ai pas dit que François Fillon était en mesure de faire barrage au FN, mais qu’il devait son succès au fait d’avoir été perçu comme capable d’opérer ce barrage. A lui maintenant de montrer qu’il y parvient pour de bon ! L’électorat de droite à la primaire a vu en Nicolas Sarkozy le danger de relancer une gauche hystérique à laquelle il offrait une cible grosse comme un éléphant dans un couloir. Quant à Juppé, il paraissait irréel au regard des questions qui se posent à la base. Son style « oligarchique » offrait un boulevard à Marine Le Pen. Ces deux candidats vedettes étaient sources de grosses perplexités. Dans cette situation d’incertitude, Fillon s’est présenté comme la solution de l’équation. Il est parvenu à incarner avec talent de sortir le pays d’une ornière ressentie douloureusement par beaucoup de Français et matérialisée par la pression du FN, à commencer par l’impuissance de l’Etat à réaliser des réformes jugées majoritairement indispensables. Maintenant, a-t-il les moyens de ce projet ? Il demeure beaucoup de zones floues dans son programme, dont sur les points brûlants, le défi européen et le défi migratoire. Et l’on voit déjà se profiler les résistances que suscite toute atteinte aux acquis de l’Etat providence. C’est l’expérience qui va nous dire s’il a trouvé les bons leviers.