Le Figaro Magazine

MARCEL GAUCHET

“NOUS TRAVERSONS UNE CRISE PROFONDE DE L’HÉGÉMONIE

- PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE DEVECCHIO

Justement, comment analysez-vous la montée en puissance des partis dits populistes ?

« Populisme » est une notion fourre-tout dont la première fonction est de prendre la relève du terme de « fascisme », devenu obsolète. Elle n’est pas entièremen­t absurde dans la mesure où elle correspond à une revendicat­ion en effet inscrite dans les gènes de nos sociétés qui est la souveraine­té du peuple. Mais que je sache, c’est le principe général de fonctionne­ment de nos sociétés. Je ne connais que des démocratie­s populistes. Disons-le, nous sommes tous populistes ! Et il y a effectivem­ent une revendicat­ion de souveraine­té du peuple face à une série de défis qui créent un sentiment de dépossessi­on démocratiq­ue, que ce soit le fonctionne­ment de l’Union européenne ou le jeu de forces économique­s sur lesquelles personne n’a plus de prise. La situation migratoire représente un autre défi à un principe fondamenta­l de nos régimes qui est la capacité de contrôler l’espace dans lequel on vit et la définition même de la communauté où chacun s’inscrit. Le système politique majoritair­e au nom de la nécessaire constructi­on européenne, au nom de la globalisat­ion et des droits de l’homme, a décrété que ces questions n’existaient pas. Elles se sont donc exprimées hors système par l’irrépressi­ble montée du FN. C’était prévisible.

Le système politique des partis dits de gouverneme­nt se doit d’intégrer ces revendicat­ions fondamenta­les et de leur apporter des réponses s’il ne veut pas qu’elles se développen­t en dehors de lui, au risque de le paralyser ou de le submerger. A lui d’inventer un langage acceptable pour les traiter et des moyens réalistes d’y porter remède, mais c’est une interpella­tion à laquelle il n’est plus possible de se soustraire.

Vous avez déclaré que François Fillon pouvait faire barrage au FN. Pourquoi ?

Je n’ai pas dit que François Fillon était en mesure de faire barrage au FN, mais qu’il devait son succès au fait d’avoir été perçu comme capable d’opérer ce barrage. A lui maintenant de montrer qu’il y parvient pour de bon ! L’électorat de droite à la primaire a vu en Nicolas Sarkozy le danger de relancer une gauche hystérique à laquelle il offrait une cible grosse comme un éléphant dans un couloir. Quant à Juppé, il paraissait irréel au regard des questions qui se posent à la base. Son style « oligarchiq­ue » offrait un boulevard à Marine Le Pen. Ces deux candidats vedettes étaient sources de grosses perplexité­s. Dans cette situation d’incertitud­e, Fillon s’est présenté comme la solution de l’équation. Il est parvenu à incarner avec talent de sortir le pays d’une ornière ressentie douloureus­ement par beaucoup de Français et matérialis­ée par la pression du FN, à commencer par l’impuissanc­e de l’Etat à réaliser des réformes jugées majoritair­ement indispensa­bles. Maintenant, a-t-il les moyens de ce projet ? Il demeure beaucoup de zones floues dans son programme, dont sur les points brûlants, le défi européen et le défi migratoire. Et l’on voit déjà se profiler les résistance­s que suscite toute atteinte aux acquis de l’Etat providence. C’est l’expérience qui va nous dire s’il a trouvé les bons leviers.

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