Le Figaro Magazine

NOUS AVONS BESOIN DE CES “PETITS RITES”

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mais une jeune fille critique « les chemises trop fines qui ne protègent pas du froid ». Une autre déplore que les costumes en début d’année « n’ont pas toujours la bonne taille ». Mais un autre garçon est content de ne pas avoir à « se casser la tête le matin ». Il ajoute que « ça enlève les complexes sur l’habillemen­t ». Deux filles disent qu’elles se sont acheté des pantalons serrés, parce que « ceux du collège sont trop droits ». Elles montrent avec une mine déconfite les vestes « qui ne sont même pas cintrées ». « Les filles sont plus critiques, plus soucieuses de leur look, et souvent plus fashion victim », commente un professeur quand nous évoquons ces doléances. En revanche, le costume est plébiscité à l’occasion des sorties hors de l’établissem­ent. « Quand on va à l’extérieur, là c’est la classe », disent-ils. Une autre admet que ça les aide à « bien se présenter et à être prêts pour entrer dans le monde du travail ». Une jeune fille noire aux cheveux longs et aux tresses multicolor­es insiste : « Moi l’uniforme ça ne me pose aucun problème, ça nous protège, ça nous renvoie à ce que vous faites dans l’école, pas à vos origines. » Elle trouve aussi que « c’est un gain de temps énorme ». Kenza, jeune fille maghrébine, reconnaît que pour les parents « c’est super prestigieu­x, ça montre qu’on est dans un truc à part ». Elle est en terminale et voudrait faire des études de droit. Le week-end ou les vacances, certains rentrent chez eux en uniforme, d’autres l’enlèvent avant. « Les gens nous demandent parfois pourquoi on est sapés comme ça, mais souvent ils sont déjà au courant, du coup on a moins peur de passer pour les bourges de service. »

Les professeur­s, de leur côté, ne sont pas en uniforme. Seul le prof d’allemand porte costume strict et cravate. Le prof de maths est en blouson de cuir : « Ça leur apprend à se présenter, et quand ils font une sortie, ça crée un esprit d’unité », remarque-t-il. « Souvent je vois les sixièmes ou les cinquièmes qui s’apprennent entre eux à faire un noeud de cravate, une fois j’ai entendu l’un dire à l’autre “Regarde comme t’es beau !” » Autre avantage, selon plusieurs professeur­s : « Quand tous les élèves sont en uniforme, on cherche moins à repérer les cas difficiles ou à juger les élèves selon leurs apparences. » Enfin, un autre professeur remarque que « ça permet aussi de repérer immédiatem­ent les intrus qui ne font pas partie de l’établissem­ent ». Au total, « cela crée un climat plus apaisé ». Tous ne sont pas sur cette longueur d’onde. Certains professeur­s « m’ont dit au début que ce n’était pas “dans leurs attributio­ns” de vérifier les tenues », reconnaît Bernard Lociciro.

« Le coup de génie de Sourdun

c’est d’avoir fait non pas un uniforme, mais un costume », nous dit Abdel Aïssou, ancien sous-préfet passé dans le privé, qui a publié récemment un livre de témoignage­s de lycéennes de Sourdun, après les attentats de novembre 2015, intitulé La République au coeur (L’Harmattan). « Je ne suis pas fils d’archevêque, et je n’ai pas été à l’école avec un uniforme dans une pension pour riches, mais je pense que cela correspond à l’attente de la majorité silencieus­e des banlieues, c’est avec ces mises en scènes là que l’on crée des mécanismes d’identifica­tion à une rigueur, à l’effort de présentati­on de soi », nous dit-il. En 2015 il a fait venir douze élèves du pensionnat devant l’Arc de Triomphe pour ranimer la flamme du soldat inconnu : « Ils étaient tous en costume, ils ont rencontré les anciens combattant­s, ça avait une gueule extraordin­aire », se souvient celui qui initia avec Dominique de Villepin le projet des cadets de la République. « On peut reprocher à quelqu’un de ne pas savoir chanter la Marseillai­se, encore faut-il s’assurer qu’on lui a un jour appris à la chanter », résume Aïssou à propos des « petits rites » de la République qui mériteraie­nt, selon lui, d’être généralisé­s, « car ils permettent aux jeunes d’accéder au sens, et c’est là que se rejoue une forme d’identité républicai­ne », conclut-il, en appelant à « la création d’un internat par départemen­t ». Jean-Michel Blanquer veille aujourd’hui sur la survie de ces initiative­s qui ont toutes été bridées, et parfois arrêtées, pendant le quinquenna­t de François Hollande. On leur reprochait d’être trop élitistes.

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L’Ecole de Tersac est un internat scolaire mixte près de Bordeaux.

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