SOLEIL-LEVANT
des pèlerins d’Ise depuis le Moyen Age. La rue commerçante principale est bordée de restaurants et de boutiques en bois aux toits traditionnels typiques des périodes Edo et Meiji. Nous nous y rendons au petit matin, tandis que les brumes se décrochent des collines. A droite du pont Shin, la plus ancienne pâtisserie du Japon encore en activité, Akafuku - fondée en 1707 - vient d’ouvrir ses portes. Sous le feu de bois crépitant, l’eau pure d’immenses chaudrons frémit à peine…
Comme tous les jours, la jeune Hirogaki y prépare le thé
après avoir soigneusement torréfié ses feuilles. Les clients affluent de tout le pays pour goûter à l’akafukumochi, spécialité maison préparée depuis trois cents ans selon la même recette. Ces petits raviolis de riz fourrés à la pâte sucrée de haricots « rouge bonheur » (sic) célèbrent par leur forme et leur symbolique le sanctuaire et la rivière Isuzu qui coule à ses pieds. Ils se dégustent avec une tasse de thé grillé, installé sur le zashiki de la salle hypostyle ouverte sur le cours d’eau. Dans les ruelles adjacentes, les magasins de souvenirs made in China côtoient les échoppes de produits et d’artisanat locaux : jouets en bois et origamis, vêtements et linge de maison teintés à l’indigo de Matsusaka – ville où sont élevés les boeufs du même nom, une variété exceptionnelle de wagyu comparable au boeuf de Kobe –, thé vert… Mie est une des plus anciennes régions théicoles du Japon et la troisième du pays pour sa quantité de production. Dès le XIVe siècle, Ise est mentionnée par les lettrés pour la qualité de son thé vert, dont les champs forment des sillons taillés au cordeau. Les restaurants servent le traditionnel Ise udon (un bouillon de nouilles aux oignons verts et bonite séchée) ou le tekone zushi (sashimi de bonite sur lit de riz vinaigré) autre spécialité du cru. Dans une venelle sinueuse, des notes subtiles attirent les voyageurs vers une boutique d’encens. Les papiers d’emballage multicolores, pliés avec un raffinement exquis, renferment les bâtonnets parfumés. Au fond de l’officine trône une étrange cabine vitrée qui permet de sentir et de sélectionner les exquises et relaxantes volutes, ce, sans incommoder les autres clients. L’élégance ultime…
Après Amaterasu, l’autre figure emblématique de la région d’Ise-Shima se nomme Kokichi Mikimoto, l’inventeur de la perle de culture. Disparu en 1954, son histoire n’a rien à envier aux légendes divines. Pour suivre ses traces, direction Toba sur la côte de la péninsule de Shima-hanto, à 15 km à l’est d’Ise. Deux itinéraires possibles. L’autoroute du nord passe par Meoto Iwa, un des sites les plus célèbres du Japon. Deux rochers au milieu de la mer, reliés par une grosse corde renouvelée chaque année le 5 janvier lors d’une fête et utilisée dans le rite shinto de conjuration du sort. Très populaires (tous les petits Japonais y viennent en voyage scolaire), ces « rochers époux » symbolisent le mariage. De mai à juin, le soleil se lève entre les deux blocs, d’octobre à février c’est au tour de la pleine lune.
Autre alternative pour rejoindre Toba, la route panoramique du sud, qui traverse la montagne. On s’y arrête pour une marche dans une nature paisible et domestiquée ou une visite du temple Kongoshoji, situé au sommet du mont Asama. Plusieurs belvédères jalonnent le parcours d’où l’on contemple la vue sur de vertes collines plissées comme la peau d’un sharpeï, qui ondulent et plongent dans la mer calme. Sur ce miroir d’eau, une multitude d’îlots dessinent de curieux idéogrammes au langage poétique et secret.