MNOUCHKINE, LE THÉÂTRE-MONDE
Le nouveau spectacle de la Cartoucherie tient à la fois de l’opéra, de la tragi-comédie, de l’épopée, du music-hall, résumant superbement Ariane Mnouchkine, sa générosité, sa folle invention et sa magnifique jeunesse. Il nous a rempli de bonheur. Ses longueurs, ses redondances sont largement rachetées par son somptueux désordre, son mouvement, sa gaieté et sa richesse, par la noblesse et le courage du message qu’il délivre. On est là devant une espèce de théâtre-monde qui raconte dans un élan de tendresse humaine la barbarie de notre siècle, et nous invite à y répondre par l’insolence et le rire.
Une troupe française de théâtre est bloquée en Inde après les attentats de Paris. Elle y était arrivée en quête d’un sujet de spectacle. Ce sujet, ce sera cette quête. Nous assistons à la création improvisée d’une pièce qui représente les situations dans lesquelles sont plongés les comédiens dans le contexte du chaos provoqué par les actes terroristes. Ainsi alternent les épisodes de leur quotidien, les scènes de la vie locale et notamment de son théâtre et les scènes plus violentes qui reproduisent la cruauté de Daech, ceci et cela dans un fourre-tout inépuisable où se mêlent le rêve et le vécu, le réalisme et le symbole. Dans l’ample espace du Théâtre du Soleil, une quarantaine de comédiens qui jouent quelque deux cents rôles mènent une extravagante sarabande où se croisent comédiens, indigènes, Shakespeare, talibans, musiciens, Gandhi, singes et vache, Tchekhov et les trois soeurs, terroristes, Krishna et l’on en passe, le clou du spectacle étant la représentation de Theru Koothu, forme traditionnelle et populaire d’un théâtre d’origine tamoule qui raconte des histoires venues du Mahabharata dans une esthétique colorée et fortement rythmée. Cela enchante le public.
Ce bref compte-rendu ne donne qu’une idée approximative de l’énergie dépensée sur le plateau, de l’invention scénographique du spectacle, de la fraîcheur spontanée qui l’inonde. Mais surtout de la force du message récurrent qu’il porte : la dénonciation de l’obscurantisme et de la barbarie et l’appel à la résistance. Mnouchkine le lance avec une audace folle. Elle ne mâche pas ses mots. Elle désigne par leur nom les bourreaux. La scène finale est d’une force impressionnante. On ne citera pas les nombreux artistes de toutes origines qui contribuent à ce tragique et joyeux carrousel, création collective, sauf celui d’Hélène Cinque, double de Mnouchkine, qui l’anime, et celui de l’historique Jean-Jacques Lemêtre qui en assure le riche accompagnement musical.
Le rire en réponse à la barbarie
une création collective du Théâtre du Soleil. Dirigée par Ariane Mnouchkine. La Cartoucherie