Le Figaro Magazine

LA POLITIQUE A BESOIN D’AUTANT DE PROXIMITÉ QUE L’AMOUR

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Mon premier contact physique avec la politique remonte aux années 50. J’étais le benjamin de la rédaction du Figaro et, comme tel, chargé d’aller surveiller une manifestat­ion d’étudiants très hostiles à René Pleven alors président du Conseil. Le mot d’ordre propagé par les trublions ne s’embarrassa­it pas de slogans ni d’arguments idéologiqu­es. Il fallait simplement, profitant de ce qu’il venait de rallumer la flamme sous l’Arc de triomphe, mettre la main à la partie la plus charnue du leader breton avant qu’il ne regagne sa voiture. Il faut croire que je me sentais encore un peu étudiant puisque, au lieu de regarder ceux qui commettaie­nt ce crime de lèse-exécutif, j’ai participé – au moins une douzaine de fois – à la manoeuvre. Naturellem­ent, dans mon reportage, je n’ai pas soufflé mot de ma hardiesse puisque j’oeuvrais dans un quotidien plutôt gouverneme­ntal. Mon deuxième (pardonnez-moi de m’exprimer comme dans les charades) était socialiste et président de la République. Il se nommait Vincent Auriol. Il gardait de son village natal de HauteGaron­ne et d’un accident de chasse un accent à couper au couteau et un oeil « coulant comme un camembert au mois d’août » qui faisaient tordre de rire les chansonnie­rs. M’ayant donné rendez-vous pour une interview de très bon matin au château de Rambouille­t où il passait un week-end, il m’avait lui-même ouvert la porte et servi le petit déjeuner car, m’avait-il expliqué, il ne souhaitait pas qu’un dimanche son personnel fut privé de grasse matinée. Je me suis retrouvé dans une situation à peu près identique avec René Coty. Pour me remercier d’avoir été annoncer à sa femme qu’il venait d’être élu chef de l’Etat, il m’avait convié à partager leur premier dîner à l’Elysée. Un dimanche et sans personnel. Une vraie manie. C’est donc le président qui allait chercher les plats à la cuisine tandis qu’un garde républicai­n débarrassa­it la vaisselle. Je l’ai ensuite suivi partout. Une année, je l’ai accompagné durant une semaine de vacances d’hiver à Menton. Chaque matin, j’allais le chercher et nous nous promenions au bord de la mer. Lorsque Germaine Coty mourut, je me retrouvai au pied de son lit à pleurer comme une Madeleine en compagnie de Michel Péricard, reporter à la radio qui devait connaître une brillante carrière parlementa­ire. J’avais tellement mes entrées – sans rendez-vous – que, lorsque Pierre Brisson, le tout-puissant directeur du Figaro, hésitait sur une informatio­n politique, il me disait : « Allez donc demander au Président… » J’étais dans le bureau de ce dernier un jour à midi lorsqu’il me proposa : « Le Général vient me chercher pour déjeuner. Si vous voulez, je vais vous présenter à lui. » Aussi terrorisé que si l’on m’avait invité à rencontrer Dieu le Père, je prétextai une mission imaginaire et m’enfuis comme un voleur. Je récidivai lorsque le Général devenu président donna sa première réception en l’honneur des Arts et des Lettres. Au moment où l’huissier allait crier mon nom car le Général était dur d’oreille, je tournai les talons. La dernière image que je garde du bon monsieur Coty se situe au Havre. Après sa passation des pouvoirs au Général, il a réintégré la demeure familiale. Il y a des corbeilles de fleurs partout. Il est assis dans son vieux fauteuil de cuir noir. On comprend qu’il ne suivra plus les affaires du monde qu’à travers la télévision. Il garde quelques minutes mes mains dans les siennes. Je me suis retenu pour ne pas l’embrasser. Mon contact avec Pompidou fut plus bref et beaucoup moins cordial. Il avait refusé, me trouvant trop jeune et pas assez sérieux, ma demande d’entretien. Et puis mon grand copain le danseur Jacques Chazot, qui faisait partie de son premier cercle, l’avait convaincu. Je suis resté un bon (façon de parler) quart d’heure debout devant Pompidou qui, occupé à signer son courrier, n’a pas levé la tête une seule fois. A mes questions, il ne répondait que par des grognement­s. Je finis par m’éclipser piteusemen­t, en le priant d’excuser le dérangemen­t que j’avais provoqué. J’ai oublié comment je m’en suis sorti mais, le lendemain, mon papier a paru en première page et tout le monde l’a trouvé très intéressan­t. Avec Giscard, ça n’a pas été plus réussi. Il était très grand. Trop grand. Je n’ai pas eu droit à son oeil mais à sa boucle de ceinture. J’ai partagé avec Mitterrand un long et passionnan­t petit déjeuner au cours duquel il a été surtout question de Jules Renard. Il s’en est suivi une correspond­ance manuscrite et quelques petits cadeaux. J’ai bavardé avec Jacques Chirac pendant les deux heures et demie du banquet clôturant la foire aux fromages de Coulommier­s. Je ne l’avais pas revu depuis qu’il avait ordonné à ses ministres de ne plus risquer le ridicule en venant dans mes émissions. Je connais Nicolas Sarkozy depuis trente ans. Hyperintel­ligent, rapide et tactile. Quand, au cours d’une discussion, il m’attrapait le revers du veston, j’avais toujours l’impression qu’il voulait faire sauter mes bretelles. Pendant quatre ans et demi, je n’ai pas mis les pieds dans les palais nationaux. Je ne m’en porte pas plus mal. Je n’en dirais pas autant de notre cher et vieux pays.

Sarko m’attrapait par le veston comme s’il voulait faire sauter mes bretelles

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