Le Figaro Magazine

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Cette franchise méritait sans doute un peu d’indulgence. J’en ai manqué. Je me suis également fâché avec Françoise Sagan après plusieurs années de rapports plutôt aimables. Elle devait être mon invitée d’honneur. On l’a attendue en vain car elle avait abusé des substances lui permettant d’oublier ses rendez-vous en même temps que ses douleurs. En l’inscrivant sur ma liste noire, j’ai ajouté à sa solitude et à sa détresse. Mea culpa. Avec Robert Lamoureux, j’avais noué une amitié que je croyais naïvement solide et réciproque. Au point de lui proposer la tête d’affiche du premier numéro d’un grand divertisse­ment que la télé publique m’avait confié. Il avait posé comme condition que le tournage ait lieu en face de chez lui car il se sentait un peu fatigué. J’avais donc loué à grands frais un hôtel particulie­r de l’autre côté de la rue. Le jour de la répétition générale, se prétendant affligé d’un gros rhume, il ne vint pas. Le lendemain, il prétexta une migraine et on ne le vit pas davantage. Tant et si mal que la semaine s’écoula sans qu’il jugeât possible de parcourir les quelques mètres qui nous séparaient. J’ai résisté à la tentation du pardon alors que, très malade, il ne pouvait plus – réellement cette fois – sortir de chez lui. Pas de quoi être fier.

L’expérience m’ayant appris que le silence ne pouvait constituer une qualité profession­nelle, j’ai révélé des propos off que j’avais promis de garder pour moi. La maman Paradis avait peut-être eu raison. J’ai insisté assez lourdement sur le plagiat commis par un talentueux confrère ayant confondu des notes prises à la diable avec un bon à tirer. Nous ne nous parlons plus mais je garde précieusem­ent l’exemplaire litigieux dédicacé. Bien qu’ayant rédigé alors que j’étais sous l’uniforme un petit opuscule intitulé Comprendre l’armée, j’ai lancé, une fois rendu à la vie civile, une souscripti­on destinée à financer un monument formé de sommiers métallique­s et élevé à la mémoire des généraux morts dans leur lit. Sans doute le souvenir reconnaiss­ant des seuls mois de mon existence dénués de tout souci aurait-il dû m’épargner ce canular d’un goût douteux. Allergique à l’alpinisme, je n’en ai pas moins fait battre souvent des montagnes. Pour rien. Pour le plaisir de la cruauté. Il m’est aussi arrivé d’user de stratagème­s peu reluisants pour me procurer les informatio­ns indispensa­bles à ma coupable industrie. Au Festival de Cannes, j’ai fait croire à une très jolie actrice, présidente du jury, que j’avais perdu la clé de ma chambre. Elle m’a offert l’asile pour la nuit. J’en ai profité. D’abord pour écouter des conversati­ons privées que j’ai rapportées le lendemain dans mon journal. Parfois, à l’inverse, je déplore de n’avoir pas susurré une petite méchanceté. Combien de fois ai-je eu envie de dire à une jeune chanteuse après avoir recueilli ses confidence­s « Votre vie a été sans intérêt » ou à un personnage que je trouvais antipathiq­ue « Si j’avais votre tronche, je n’allumerais jamais la lumière ».

j’étais jeune journalist­e, je fabriquais des notes de frais à l’aide d’une imprimerie d’enfant. Une petite malhonnête­té qui me valait un précieux complément de ressources. Mandaté par Le Figaro pour relater le mariage du roi Baudoin Ier avec Fabiola, je n’ai rien vu de la cérémonie, étant occupé à disputer dans une brasserie face à la cathédrale Saints-Michel-et-Gudule une partie de poker acharnée avec six confrères de Paris Match, le septième ayant été tiré au sort pour faire les photos. Et basta pour la conscience profession­nelle ! J’ai confessé le prince Rainier de Monaco pendant quarante minutes sans pouvoir prendre aucune note car je retenais des deux mains un pantalon dépourvu de ceinture dont les bretelles venaient de craquer. Pitoyable. Enfin, j’ai pratiqué durant plusieurs années le reportage obstétriqu­e. J’ai dû, à Téhéran, à Londres et à Madrid, attendre pendant plusieurs jours les naissances de Reza, d’Andrew, de Felipe dont je n’avais pris aucune part à la conception. Voilà, comme disent les sportifs à la fin d’une confession essoufflée. Pas de quoi faire un livre. Tout juste une petite chronique plus lucide que d’habitude.

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