APRÈS LA DIPLOMATIE MORALE, LE RETOUR DE LA POLITIQUE
Au lendemain des attentats d’Ankara et de Berlin, Dominique de Villepin et Renaud Girard définissent les nouveaux paramètres de la géopolitique mondiale et ciblent les priorités en matière de diplomatie et d’alliances.
PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICE DE MÉRITENS
Le premier, outre ses fonctions à Matignon, a été le flamboyant ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, prononçant un discours resté célèbre à la tribune de l’ONU en 2003 contre l’intervention américaine en Irak. Le second, lui aussi énarque, a délaissé une carrière dans la haute administration pour choisir le journalisme. Correspondant de guerre au Figaro depuis 1984, il a couvert pratiquement tous les conflits des trente dernières années, et traite en expert des grandes crises mondiales, diplomatiques, économiques et financières. Dominique de Villepin et Renaud Girard prônent ici le retour au réalisme en politique étrangère, et plaident pour une vision renouvelée de ce qu’est la diplomatie. « Le moment est venu de s’atteler au travail de la paix, d’ouvrir les yeux sur les blessures du monde et de nous doter des outils pour construire un nouvel ordre, stable et juste », dit Villepin. « Une diplomatie donneuse de leçons est l’antithèse d’une diplomatie efficace. Contrairement à ce que pensent les néoconservateurs, la diplomatie n’existe pas pour apporter au monde la justice et la démocratie ; elle est faite pour lui conserver la paix », renchérit Girard. Leurs deux ouvrages, Mémoire de paix pour temps de guerre (Villepin) et Le Monde en guerre. 50 clefs pour le comprendre (Girard) en miroir l’un de l’autre − et avec un style très différent −, se complètent pour nous livrer les enjeux planétaires de l’avenir. de Dominique de Villepin. Grasset. 671 p., 24 €. Le Monde en guerre. 50 clefs pour le comprendre, de Renaud Girard. Carnets Nord/Editions Montparnasse. 367 p., 22 €.
Face à la barbarie, que faut-il attendre d’Angela Merkel et de Vladimir Poutine ? Dominique de Villepin - Les événements de Berlin sont pour l’Allemagne un véritable traumatisme, car elle est touchée pour la première fois directement par le terrorisme international. Dans une année électorale, et au moment où beaucoup d’Allemands s’inquiètent de l’accueil de plus d’un million de réfugiés, il y a là un climat dangereux. Angela Merkel a besoin d’une réaction européenne forte pour continuer à maîtriser la situation, par exemple l’annonce d’un FBI européen en lien avec Frontex sur le suivi des demandeurs d’asile. La situation en Turquie est très différente. Le pays fait face à plusieurs vagues de terrorisme à la fois, qui sont en réalité une guerre civile à peine larvée entre trois mouvances : le gouvernement, avec ses tentations autoritaires perceptibles et ses revirements stratégiques en Syrie, les mouvements kurdes et une sphère islamiste en voie de radicalisation. Nous devons empêcher que la Turquie devienne le nouveau foyer de crise à nos portes. Cela suppose de renouer le dialogue avec le président Erdogan, quoi que nous pensions de ses actions récentes. La Russie, de son côté, ne manquera pas de resserrer ses liens avec le gouvernement turc, quitte à prendre le risque de s’impliquer toujours plus.
– De fait, l’assassinat de l’ambassadeur de Russie ne remettra pas en cause le nouveau partenariat stratégique et énergétique entre la Russie et la Turquie. Angela Merkel, quant à elle, sera confrontée à une contestation interne croissante. Car la population allemande n’est pas prête à accepter la posture d’extrême ouverture de son gouvernement à l’égard des étrangers musulmans, au prix de sa sécurité. Ceci posé, il est clair que, depuis quelques mois, notamment avec l’élection de Donald Trump et le Brexit, nous sommes face à un changement de logiciel géostratégique. En 1991, après sa victoire dans la première guerre du Golfe et le rétablissement des frontières du Koweït, le président George Bush père avait évoqué un « nouvel ordre mondial », fondé sur la stabilité des frontières politiques et sur l’effacement progressif des frontières commerciales. Un quart de siècle plus tard, cet ordre n’existe plus. Les frontières politiques sont bafouées sur les trois continents − en Ukraine, au MoyenOrient, en mer de Chine méridionale − alors même que les peuples aspirent à rétablir davantage de protectionnisme. Le logiciel n’est plus la « fin de l’histoire » et la victoire définitive de la démocratie à l’occidentale, de l’économie de marché et du libre-échangisme. On revient à un monde idéologiquement fragmenté et, pour régler les problèmes, à ce qu’on
Renaud Girard