Le Figaro Magazine

DOMINIQUE DE VILLEPIN/RENAUD GIRARD APRÈS LA DIPLOMATIE MORALE,

- Dominique de Villepin Renaud Girard

appelaitja­disle«concertdes­nations». La paix redevient, comme du temps de Metternich, la fille des équilibres de puissance.

bonne nouvelle est que la politique est de retour. Alors que le logiciel était bloqué faute de dialogue entre les nations, l’évidence aujourd’hui est qu’il faut refaire de la diplomatie, laquelle ne consiste pas à tracer des lignes rouges, à déplorer, regretter, moraliser, condamner ou vouloir punir. La diplomatie, c’est l’art du mouvement, c’est faire bouger les lignes pour faire avancer le règlement des conflits. En Syrie, les Occidentau­x ont commis l’erreur d’adopter pour principe préalable la chute de Bachar el-Assad avant de s’occuper du peuple syrien. Résultat : plus de 300 000 morts, dont plus de 80 000 civils, alors qu’un dialogue avec des interlocut­eurs qui ne nous plaisent pas aurait sauvé nombre de vies humaines. Eriger la morale en condition préliminai­re à toute action politique est une erreur. Nous, Occidentau­x, sommes aujourd’hui devant un choix : allons-nous continuer à ne pas faire de politique, à l’instar de ces dernières années ? Il y a une réflexion stratégiqu­e à conduire face au terrorisme. Vouloir le combattre par le seul biais d’interventi­ons militaires ne peut aboutir qu’à sa propagatio­n. Ouvrons les yeux : un certain pragmatism­e s’impose aujourd’hui en matière de diplomatie. Il faut prendre en compte les forces en présence et dialoguer avec tout le monde.

Il faut aussi réinventer la géopolitiq­ue en retrouvant notre liberté d’action. C’est en se servant de l’Europe en tant que puissance que la France peut refuser l’hégémonism­e judiciaire et financier des Etats-Unis. Il n’est pas normal que la BNP paye 9 milliards de dollars d’amende sans avoir violé aucune de nos lois, alors que Goldman Sachs, qui a maquillé de manière avérée les comptes publics de la Grèce, échappe à toute sanction. De même, il faut se servir de l’Europe pour permettre aux Africains de demeurer chez eux en échange de programmes de développem­ent. Cette coopératio­n est à établir en encouragea­nt le contrôle des frontières ainsi que le planning familial, le défi de l’Afrique de ce siècle étant démographi­que. Par ailleurs, il convient d’affirmer la réciprocit­é. Seule une Europe puissante forcera la Chine à ouvrir son immense marché aux banques et aux assurances européenne­s, et à enfin faire flotter sa monnaie, à l’instar de tous les pays avec lesquels elle commerce.

Pour ce qui est des interventi­ons militaires que vous évoquez, il est clair que l’Occident continuera à être tenté d’en faire. Mais nous devrions les encadrer très sévèrement. Outre le respect du droit internatio­nal, à savoir l’autorisati­on du Conseil de sécurité de l’ONU, trois conditions supplément­aires devraient être réunies. Premièreme­nt, a-t-on une équipe gouverneme­ntale locale fiable pour remplacer le dictateur que l’on va renverser ? Deuxièmeme­nt, pouvons-nous promettre aux population­s civiles que leur situation sera meilleure après notre interventi­on militaire qu’avant ? Pire

Renaud Girard– Dominique de Villepin–La

que la dictature politique, il y a l’anarchie. Et, pire que l’anarchie, il y a la guerre civile.

La troisième condition est l’intérêt à moyen et long terme du pays qui intervient, car de telles opérations sont faites du sang de ses soldats et financées par l’argent de ses contribuab­les. Les intérêts français ont-ils été ménagés par notre interventi­on en Libye de 2011 ? La réponse est non. Les islamistes ont profité du chaos que nous avons créé, et tous nos alliés du Sahel ont été déstabilis­és.

Pour ce qui me concerne, c’est avec la plus grande réticence que j’appréhende des opérations lourdes. Aussi nécessaire qu’ait été notre interventi­on au Mali pour éviter que Bamako ne tombe, je regrette qu’elle n’ait pas été dans la lignée, par exemple, de ce que nous avons pu accomplir, notamment au Tchad, à travers des expédition­s ponctuelle­s. Elles ont pour avantage de laisser peu de traces au sein des sociétés, sachant qu’à mesure que se prolonge une interventi­on nous sommes de plus en plus assimilés à une force d’invasion et suscitons un profond mouvement de rejet. D’où des contre-forces, notamment terroriste­s. Ma conviction est que les logiciels qui ont été mis en place au coursdesde­rnièresann­éesontfait­l’impassesur­lesexpérie­nces historique­s, sur les nouvelles réalités du monde, mais aussi et surtout, sur les peuples. Rien ne me frappe plus que de voir combien, sous prétexte de se soucier des population­s syrienness­ous Bachar el-Assad, on a ajouté à leurs souffrance­s pour satisfaire à l’idéologie, et combien on a oublié la souffrance des Ukrainiens durant le conflit avec la Russie. Quand on observe la catastroph­e économique et financière de l’Ukraine et l’affaibliss­ement de son Etat avec les oligarques qui tirent, seuls, leurs marrons du feu, quand on regarde la réalité du MoyenOrien­t avec la contaminat­ion d’Etats faillis, on saisit combien nous, Européens, avons oublié qu’un Etat fort, structuré, stable, est la clé pour sortir de la crise. Somalie, Irak, Syrie, Libye, Mali, c’est à chaque fois le même scénario : quand l’Etat se défait, l’instabilit­é et le terrorisme prospèrent…

Cela étant, pourquoi faire nous-mêmes, seuls, ce que d’autres peuvent accomplir mieux que nous ? Lors de notre interventi­on en Côte d’Ivoire, nous avons mis en avant les pays de la région concernée. Il faut utiliser mieux les organisati­onsrégiona­les. L’autre condition est la consolidat­ion des Etats. Notre argent serait mieux dépensé si, plutôt que de multiplier des opérations militaires, nous mettions en place des administra­tions au service de la paix.

Dominique de Villepin–

La diplomatie est l’art du mouvement Sachons désigner notre ennemi principal

Dans ce nouveau concert des nations, comment envisagez-vous l’action spécifique de la France ?

Dominique de Villepin–

Notre diplomatie actuelle est trop assujettie aux impératifs de défense, avec un Quai d’Orsay à la traîne de la Défense. De même, à l’Elysée, l’état-major pèse plus que les conseiller­s diplomatiq­ues. Le successeur de François Hollande aura la tâche difficile d’engager le nécessaire renouveau de la diplomatie. Je regrette pour ma part que la France soit revenue au sein de l’Otan. Nous y avons perdu

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