ESPRITS DE NOËL
CHER PÈRE NOËL, chapeau (ou plutôt : bonnet). Non seulement vous parvenez encore à faire croire à nos sociétés contemporaines habitées par le doute et l’incrédulité permanents que vous existez (certes dans ses franges les moins âgées, mais ce n’est déjà pas si mal), mais vous avez failli réussir à éclipser votre concurrent direct dans la célébration du 24 décembre. Exploit d’autant plus remarquable que sans lui (le petit Jésus), vous n’auriez jamais vu le jour. Comme le rappellent Alain Cabantous et François Walter dans leur excellente étude Noël, une si longue histoire (Payot), votre personnage est hérité de celui de saint Nicolas, évêque de Myre au IVe siècle. Sans Christ, pas de christianisme, pas d’évêque de Myre, pas de saint Nicolas, pas de Père Noël. CQFD.
Très présent dans nos sociétés laïcisées et sécularisées, vous ne parvenez néanmoins pas à la cheville du fils de Dieu comme source d’inspiration des écrivains. Il n’est certes pas né, le jour où la collection Bouquins de Robert Laffont publiera un Bouquin du Père Noël sur le modèle du Bouquin de Noël, conçu et présenté par Jérémie Benoit. On a beau chercher dans toutes les littératures du monde, y compris scandinaves, on ne trouve ni Dickens ni Andersen ni Daudet ni Tolstoï ni Hoffmann ni Apollinaire ni Grimm ni Hugo ni Maupassant ni Gautier ni Nerval ni Aymé ni Pirandello ni Dostoïevski ni Marot pour écrire conte, roman ou nouvelle mettant en scène un héros sur lequel soufflerait un « esprit du Père Noël » équivalent à l’esprit de Noël chrétien ayant habité les auteurs sus-cités. Normal : un bonhomme aux couleurs de Coca-Cola volant sur un traîneau tiré par des rennes et distribuant consoles vidéo, téléphones portables ou chèques, on ne voit guère qu’un Bret Easton Ellis un peu chargé pour y trouver matière à quelque texte intéressant. Face à cela : la naissance d’un enfant sauvant le monde, symbole d’espérance et de joie, promesse d’un monde meilleur et d’amour fraternel universel. Imbattable.
Post-apostrophum : les pages des où Cosette est libérée des Thénardier par Jean Valjean un 24 décembre restent indépassables.
La seule façon d’avoir une réponse, c’est de continuer à poser sa question », dit un jésuite au petit Massimo qui s’interroge sur l’univers et l’ordre des choses. Le héros du film de Marco Bellocchio est aussi celui de
Fais de beaux rêves, mon enfant, le roman de Massimo Gramellini qui fut un succès de librairie. Un héros attachant, ligoté à une mère fusionnelle et qui ne peut imaginer le suicide de celle qui fut tout pour lui. Mais les enfants savent, même lorsqu’on leur cache tout. Adolescent puis adulte, l’ancien gamin qui a pris le personnage de Belphégor comme remède contre la solitude et la peur, boite jusqu’à ce qu’éclate la vérité. Une vérité dont Bellocchio explore les méandres, comme on survolerait les circonvolutions d’un cerveau. Il filme à fleur de peau un décor que le temps change dans ses plus infimes recoins. On se passionne un peu moins pour le côté « reporter de guerre » déjà vu que pour ce conflit humain qui tue ses protagonistes aussi sûrement qu’un missile.