Le Figaro Magazine

FEYDEAU ET COURTELINE : LA PLUME ET LE PLOMB

- La Cruche, (01.45.44.57.34).

Nous avons déjà recommandé un spectacle charmant de Feydeau joué au Théâtre du Palais-Royal, que François Delétraz avait également conseillé : Les Fiancés de Loches, transformé en comédie musicale avec beaucoup de talent par Hervé Devolder pour la musique et Jacques Mougenot pour le livret. L’histoire loufoque de trois provinciau­x qui montent à Paris pour s’y marier. Mais ils confondent une agence matrimonia­le avec un bureau de placement. D’où une série d’énormes quiproquos. Nous venons de revoir cette oeuvre de jeunesse à la Michodière. Elle a gardé sa drôlerie. Un régal pour les fêtes.

Si nous en reparlons, c’est parce que se joue au Lucernaire sous le titre La Cruche, un spectacle de même caractère qui nous offre l’occasion assez rare de revisiter Courteline et de vérifier le jugement comparatif que nous portons depuis longtemps sur celui-ci et sur Feydeau, qui sont contempora­ins. Vingt ans séparent l’écriture des Fiancés (1888) et celle de La Cruche (1909). C’est étonnant : on croirait l’inverse. Il y a en effet chez Feydeau une incroyable jeunesse. Certes, Feydeau écrivit sa pièce à 26 ans et Courteline la sienne à 51 ans, mais l’âge n’est pas en cause, surtout si l’on sait que l’un et l’autre étaient de profonds pessimiste­s, d’une certaine façon vieillis avant l’âge, et l’un et l’autre impitoyabl­es observateu­rs et censeurs de l’être humain et de la société de leur temps, et plus encore si l’on sait que l’un et l’autre n’avaient pour seul souci que de faire rire, hors de toute préoccupat­ion métaphysiq­ue. Leur regard est identique, leur philosophi­e est la même. Ce qui les distingue, c’est leur rapport à deux critères : la morale et la logique et, par là même, la nature du rire qu’ils provoquent. Courteline juge, il est dans la vérité et la raison, c’est un réaliste et même un naturalist­e, il rit sombre et lourd. Feydeau, lui, est étranger à la morale, il est dans la déraison, la liberté, l’illusion, l’absurdité. C’est un poète, il rit clair et léger. A chacun de se retrouver dans l’un ou l’autre de ces deux bouffons. Le Courteline du Lucernaire est très fidèle à l’esprit de l’auteur, y compris par sa tonalité farcesque. Il est joué par une troupe d’acteurs encore jeunes, dirigée par Henri de Vasselot. L’intrigue est amoureuse. C’est un jeu de trahisons. L’auteur s’y essaie à des subtilités sentimenta­les étonnantes de sa part, lui qui est plus à l’aise dans la satire des moeurs et de l’institutio­n. Il a la patte un peu pesante. La troupe ajoute à la pièce quelques couplets musicaux. Ce n’est pas très utile. Le public rit de bon coeur.

de Georges Courteline. Mise en scène d’Henri de Vasselot, avec A. Bacquet, A. Swan, A. Trébucq, M. Sollogoub. Lucernaire, Paris VIe

Courteline rit sombre et lourd

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