Le Figaro Magazine

LES BEAUX DÉSASTRES

- OLIVIER MONY

RIEN QUE LA MER, d’Annick Geille, La Grande Ourse, 281 p., 19 €.

Immobiles et muets, ils se taisaient, au son du clairon. Et cela le remua profondéme­nt. Comme chacun d’entre ses pairs, il serait mort pour le pavillon. Pauvre patrie, se dit-il, empêchée, ligotée, tels eux tous. Il aimait cet instant de recueillem­ent, quand flottait le drapeau. » Lui, c’est Francis. Vingt ans et des poussières, il s’apprête à commencer sa vie par la fin. Quartierma­ître radio sur le croiseur Strasbourg, loin de sa Bretagne natale, mais au plus près de sa passion première, la mer ; ce fils de pêcheur mouille en ces premiers jours de défaite en baie d’Oran, dans le port militaire de Mers el-Kébir… Il y a elle aussi, bien des années plus tard. Cette femme qui n’a pas de nom, pas d’âge vraiment et qui entre pourtant dans l’automne de sa vie, seule

(ou accompagné­e d’un téléphone portable qui ne sonne pas), abandonnée sur une terrasse d’un hôtel-restaurant de Bretagne par l’homme qui partageait sa vie depuis vingt ans. On a les désastres que l’on peut et l’on vit d’abord avec ses morts. Francis et la femme seule, désertés tous deux par leur propre vie, le savent de toute éternité…

On laissera le soin aux lecteurs du beau roman d’Annick Geille de découvrir quel lien secret relie ces deux personnage­s, ces deux récits de mort et de transfigur­ation, de résistance. Elégant, douloureux et paradoxale­ment ode à la vie, le livre serre le coeur comme le ferait une chanson de Barbara. En douceur.

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