“SI LR ET PS ÉTAIENT ABSENTS DU SECOND TOUR EN 2017, LA CRISE SERAIT IMMÉDIATE”
pas toujours été clairement assumés par la classe politique, qui les a souvent présentés comme des réponses à des contraintes liées à la mondialisation et à la LEA construction européenne. Mais le relatif déclin des courants modernisateurs, qui s’accompagne de la montée des « populismes » et de la crise des élites politiques est aujourd’hui un fait majeur dans l’ensemble du monde développé, de l’Amérique de Trump à la Pologne du parti Droit et justice, en passant par la Grande-Bretagne du Brexit et l’Italie de Peppe Grillo. Cette évolution correspond à une crise de croissance de la démocratie libérale, qui est liée à la fois à la mondialisation, aux effets non maîtrisés du libre-échange et des migrations, à l’affaiblissement des Etats et au développement d’un individualisme qui remet en question des institutions comme la famille que l’on aurait pu croire immuables. Les élites des démocraties ont pour valeurs centrales l’innovation et l’ouverture et elles ont de la peine à satisfaire des demandes de protection et de sécurité culturelle qui s’expriment parfois de manière discutable ou même dangereuse, mais qui sont le fruit naturel de la modernisation.
Le système partisan né dans les années 1980 et dont
« les libéraux modernes » furent les défenseurs vous semble-t-il par conséquent épuisé ?
Il y a en tout cas des signes nombreux dans ce sens.
Le plus visible est l’installation du Front National à un niveau électoral très élevé, qui en fait le premier parti alors même qu’il ne peut – et ne veut – entrer dans aucun système d’alliances. Cela a déjà lourdement pesé sur les résultats des primaires de droite et de gauche en favorisant des candidats peu consensuels, avec pour résultat possible l’absence au second tour des deux partis qui ont dominé la scène politique depuis les années 1980. Si cela devait se confirmer, la crise serait immédiate. Je doute même qu’une victoire finale de François Fillon (ou de Benoît Hamon…) suffise à relancer un système qui repose tout entier sur le scrutin majoritaire à deux tours et sur l’alternance entre deux partis liés par un minimum de consensus « libéral » alors qu’ils ne représentent désormais qu’un tiers du corps électoral.
Le tiraillement des partis de gouvernement ne vient-il pas d’un mouvement qui part de leur base ? Du PS des années 1990, vous écrivez : « Ecartelé entre un discours militant et une pratique gouvernementale accommodante, il finissait par ressembler à un parti de sectionnaires dirigés par des thermidoriens. » Ne pourrait-on pas en dire autant de LR, au vu du résultat de la primaire et du sauvetage de la candidature de Fillon ?
Cette comparaison est en effet très pertinente. Le choix de François Hollande par la primaire socialiste de 2012 marquait une victoire décisive de l’aile modérée ou « sociale-libérale » du Parti socialiste qui reste puissante et sans doute majoritaire dans l’appareil du parti, comme le montre, outre les ralliements à Emmanuel Macron, la faible mobilisation des socialistes en faveur de celui qui est supposé être leur candidat. Mais cette victoire des « sociauxlibéraux » a été en partie masquée par l’absence de clarifi- cation idéologique et, en 2017, la primaire « socialiste » s’est jouée en fait en dehors du parti, en mobilisant une gauche plus radicale qui se reconnaissait mieux dans les frondeurs. A droite, la surprise est un effet direct des conditions dans lesquelles s’est faite la primaire ; les électeurs de droite sont partis de l’idée que, puisque Marine Le Pen serait de toute manière au second tour et que la droite avait gagné toutes les élections intermédiaires, leur victoire était certaine et qu’il était donc temps de désigner un leader « vraiment à droite », sans faire de concessions à des forces et à des électeurs qui, de toute façon, seraient contraints de se rallier au candidat « républicain » présent au deuxième tour. Mais le problème est que, pour gagner l’élection présidentielle, il ne suffit pas de convaincre le peuple de droite (ou le peuple de gauche), et c’est ce qui explique le jeu d’équilibriste compliqué qui contraint François Fillon et Benoît Hamon à édulcorer leur programme tout en continuant de s’appuyer sur le noyau dur qui s’est manifesté lors des élections primaires. Le succès actuel d’Emmanuel Macron est le résultat naturel de cette crise de représentativité des deux grands partis : il a repris à son compte la formule gaulliste de la « rencontre d’un homme et d’un peuple » que la droite avait de fait abandonnée en ne s’adressant qu’à elle-même, et il l’a mise au service d’une stratégie centriste qui, jusqu’alors, s’était toujours brisée devant la logique du jeu majoritaire et de l’alternance.
S’ils s’opposent à tout ou partie des thèses des « libéraux modernes, qui croient à l’Etat de droit, au libre-échange, et à l’héritage moral des années 70 », Marine Le Pen ou Mélenchon ne militent pas pour autant pour la fin du principe de légalité ou le retour à l’état des moeurs du début des années 60. De leur point de vue et d’après leurs critères, les partisans de ces deux candidats ne réclament-ils pas une sorte de rééquilibrage plutôt qu’une révolution ? Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon représentent la forme nouvelle que prend la contestation antilibérale dans le monde qui a vu la fin du communisme et, avec lui, de la passion révolutionnaire. La première a compris que le succès passait par l’abandon des principales références de l’extrême droite traditionnelle, à commencer par l’antisémitisme, et elle a bâti sa politique sur la réactivation d’une figure du « peuple » qui permet en apparence de jouer la démocratie contre le libéralisme en attaquant la représentation et en court-circuitant les contraintes de l’Etat de droit. Le second s’est démarqué de la rhétorique insurrectionnelle de l’extrême gauche trotskiste pour se présenter comme l’artisan d’une nouvelle alliance « vraiment de gauche » qui pourrait venir au pouvoir par les élections, et c’est comme cela qu’il a largement supplanté le Nouveau parti anticapitaliste d’Olivier Besancenot. Mais l’un et l’autre vont au-delà d’un simple rééquilibrage ; ils prétendent représenter à eux seuls le « peuple » et ils visent l’instauration d’une démocratie « illibérale » dont on peut deviner les traits quand on voit quels modèles ont leurs faveurs : la Hongrie de Viktor Orbán et l’Amérique de Donald Trump pour Marine Le Pen, Fidel Castro et le Venezuela d’Hugo
Les élites des démocraties ont de la peine à satisfaire des demandes de protection et de sécurité culturelle