Philippe Raynaud : « Si LR et PS étaient absents du second tour en 2017, la crise serait immédiate »
Dans son nouveau livre, L’Esprit de la Ve République (Perrin), le professeur de sciences politiques Philippe Raynaud dépeint les mutations des institutions et des partis politiques depuis soixante-dix ans pour mieux discerner les causes du malaise qu’éprouvent tant de Français à la veille de l’élection présidentielle.
ll existe des intellectuels qui ne recherchent pas les journalistes et se consacrent à leur oeuvre dans le silence des bibliothèques. Philippe Raynaud est l’un d’eux. Professeur de philosophie politique à l’université Paris-IIPanthéon- Assas, le penseur est l’un des meilleurs spécialistes du libéralisme. On lui doit en particulier Trois révolutions de la liberté : Angleterre, Etats- Unis, France (2009) et La Politesse des Lumières (2013) ainsi que de brillantes préfaces d’oeuvres classiques comme les Réflexions sur la révolution de France, d’Edmund Burke. Dans L’Esprit de la Ve République. L’histoire, le régime, le système, Philippe Raynaud conjugue récit et analyse pour éclairer l’évolution de notre régime politique et comprendre ses graves difficultés actuelles.
Vous démontrez dans votre ouvrage que « le système politique et partisan dans lequel nous vivons » s’est imposé à la fin des années 80. On a coutume de l’appeler « la République du centre », en référence à un essai fameux. Quelle mutation s’est alors produite ? Philippe Raynaud – Jusqu’en 1981, la Ve République a fonctionné sur la base de ce que Maurice Duverger appelait le « quadrille bipolaire », dans lequel un bloc de droite constitué de l’alliance du parti gaulliste avec un parti libéral et centriste (RPR-UDF) s’opposait à un bloc de gauche réunissant les socialistes et les communistes ( PS- PCF). Ce système était très conflictuel, dans la mesure où les deux coalitions étaient censées représenter deux « choix de société » opposés, mais il permettait de représenter une très grande majorité des électeurs : l’abstention était faible et aucun autre parti n’obtenait de score suffisant pour perturber le jeu. D’un autre côté, il a longtemps bénéficié à la droite, car l’alliance communiste effrayait les électeurs modérés et contraignait le centre à s’allier aux gaullistes. La situation change à partir de 1981. Mitterrand ne gagne l’élection présidentielle que parce que le Parti communiste paraît déjà suffisamment affaibli pour que cela permette de lever les craintes des électeurs hésitants et il suffira de trois ans pour que, après l’abandon de fait du programme commun, le Parti socialiste gouverne seul. Les années qui suivent vont confirmer le déclin communiste mais, après l’intermède de la cohabitation, Mitterrand sera réélu assez facilement dans un contexte nouveau que décrivent très bien, en 1988, les auteurs de La République du centre, François Furet, Jacques Julliard et Pierre Rosanvallon : « Au moment où elle manifeste un consensus jamais atteint depuis 1789 sur ses institutions, la France n’a plus de Parti communiste puissant ni de droite majoritaire. Elle est gouvernée au centre par un Parti socialiste dominant et comporte une extrême droite qui n’a jamais réuni autant de voix. » Le système dans lequel nous vivons s’est formé dans ces années- là. Il est apparemment plus consensuel que le précédent, puisqu’il repose sur l’alternance entre deux ensembles où un seul parti (RPR, puis UMP, d’un côté, PS de l’autre) domine nettement ses alliés et où il existe un accord de fait entre les deux blocs sur quelques choix fondamentaux en matière économique et sociale (l’économie de marché combinée avec un haut niveau de protection sociale) et, depuis le traité de Maastricht, sur la politique européenne. Mais ce système qui organise la modération s’est en fait avéré moins intégrateur que le précédent, comme devaient le montrer la montée de l’abstention, l’installation du Front national dans la vie politique, suivie de la remontée d’une extrême gauche rebelle à l’alliance socialiste avec, en 2005, une rupture importante entre les partis dominants et le corps électoral au moment du référendum sur le projet de Constitution européenne.
Vous observez que « les libéraux modernes, qui croient à l’Etat de droit, au libre-échange, et à l’héritage moral des années 70 », à l’origine de la recomposition née du tournant de 1983, n’ont plus le vent en poupe. Pourquoi ?
Il ya à cela des raisons qui tiennent à notre histoire nationale: la France est une démocratie libérale ancienne, mais où le « libéralisme » a toujours suscité des réserves à gauche et à droite, et où les choix faits dans les années 1980 n’ont