Livres/Le livre de Frédéric Beigbeder
Christophe Ono-dit-Biot a tué sa femme dans deux romans consécutifs : j’imagine leurs conversations domestiques.
- Alina, ça ne te dérange pas si je te retue ? - Passe-moi le sel, assassin ! Et arrête de regarder la série The Walking Dead.
Blague à part, il y a un parfum du Vertigo, d’Hitchcock dans ce livre dont le héros recherche sa femme noyée en Italie, en Espagne, en Grèce et au Japon. Déformation professionnelle, car César est reporter. Il apparaissait déjà dans Birmane (prix Interallié 2007) et Plonger (Grand Prix du roman de l’Académie française en 2013, dont l’adaptation au cinéma par Mélanie Laurent sort en septembre prochain). Veuf inconsolable et père d’un petit Hector, César retourne sur les îles Li Galli, près de Capri : selon l’Encyclopédie de Diderot, c’est là que les sirènes ensorcelaient Ulysse dans L’Odyssée ; c’est aussi là que César manque de se noyer à son tour en visitant une grotte sous-marine où il copula jadis avec Paz ; et c’est encore là que Jean-Yves Le Fur a épousé Malgosia Bela. Trois raisons de redouter cet étrange décor où j’ai vu, il y a trois ans, Kate Moss chanter We are family avec Beth Ditto et le groupe Sister Sledge sous un feu d’artifice grandiose. Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des signaux : le mariage tourna court ; cette île porte malheur depuis la plus haute Antiquité. Rudolf Noureev, qui l’avait achetée en 1989, est mort quatre ans plus tard, à 54 ans. La vie est un rébus que les romanciers tentent de déchiffrer. Le véritable sujet de
Croire au merveilleux n’est pas le deuil mais l’hypermnésie. César est obsédé par un passé qui ne passe jamais. Il fuit dans le journalisme et les îles lointaines une mémoire qui l’empêche de vivre. Il sera sauvé par son fils de six ans et une voisine grecque qui jouit très fort. La détestation de son époque est peut-être la clé pour comprendre ce roman truffé de références antiques (il y a même une soirée chaude « pour enterrer le monothéisme » ). En réalité, c’est de son père normand qu’Ono-dit-Biot essaie de nous parler : ce père passionné de géologie qui l’emmenait dans les grottes des falaises d’Octeville-surMer pour chercher des fossiles de dinosaures. Avec son soleil, son Italie, sa Grèce, Croire au merveilleux évoque Jean d’Ormesson et Michel Déon. Mais il manque quelque chose et je pense deviner quoi : Ono-Dit-Biot doit oublier César le globe-trotter et affronter Christophe le Havrais. La fin, que nous ne raconterons pas, fait battre le coeur plus fort. Il ne suffit pas de croire au merveilleux, il faut oser plonger dedans. Et plonger, Christophe Ono-dit-Biot s’y connaît.
Croire au merveilleux, de Christophe Ono- dit- Biot, Gallimard, 240 p., 20 €.