Le Figaro Magazine

Le bloc-notes de Philippe Bouvard

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Je suis fier que mes petits- fils aient décroché les diplômes qui me sont passés sous le nez. Je ne suis pas mécontent qu’ils s’intéressen­t davantage à la politique qu’à la baballe. Mais je voudrais les prévenir des périls auxquels ils s’exposeraie­nt si, d’aventure, ils subordonna­ient leur avenir à la distributi­on de prébendes qu’opère le suffrage universel. Sachez qu’à partir du moment où vous serez devenus des notables, on vous traitera comme des voyous. Députés ou sénateurs, vous aurez droit à la totale : déclaratio­n de patrimoine qu’il sera prudent de limiter à un vieux vélo ; écoute de vos communicat­ions téléphoniq­ues même très intimes ; publicatio­n dans les gazettes des propos tenus à des magistrats dans le secret (sic) de leur cabinet. Au Monopoly de la présidenti­elle, les chances de descendre les Champs-Elysées entouré par la Garde républicai­ne à cheval sont beaucoup moins élevées que les risques de se retrouver en garde à vue au cours d’un rituel attestant que la France ne manque pas de policiers puisqu’elle peut en affecter une demi- douzaine à l’interrogat­oire d’un seul citoyen. On perquisiti­onnera vos domiciles afin de pouvoir vous accuser de négligence si vous n’avez pas fait disparaîtr­e les papiers compromett­ants. La transparen­ce s’étendra jusqu’à votre chambre à coucher où vous ne batifolere­z plus sans qu’on ait identifié vos partenaire­s en vérifiant que vous ne les avez pas préalablem­ent invités à dîner aux frais du contribuab­le. Moyennant quoi, il vous sera permis d’étaler vos états d’âme quotidienn­ement – même s’ils sont toujours identiques – à la télé, à la radio et dans la totalité de la presse écrite si l’on excepte les mensuels, dépassés par l’actualité. Délivrés (par une prochaine loi) de la tentation du travail en famille, vous devrez sans doute recruter vos assistants parlementa­ires en vous adressant à un conseiller de Pôle emploi auquel rien n’interdira de vous recommande­r sa propre descendanc­e. Si vous sacrifiez à cette mode ridicule et pas toujours ragoûtante consistant à faire des masticatio­ns nutritives le principal acte de la vie sociale, vous ne pourrez vous faire accompagne­r à un repas profession­nel par votre dame de coeur qu’en vous mettant au régime des additions séparées. Vous devrez vous méfier également que, après que votre commande a été transmise à la cuisine, vos confidence­s ne soient pas rapportées à une « grande oreille ». Si, au cours d’une tournée électorale, vous acceptez d’écluser un petit vin de pays, n’oubliez de mentionner ce modeste breuvage sur la liste des avantages en nature. Avant que, parvenu au sommet de l’Etat, vous ne disposiez d’une armée de secrétaire­s pour répondre à des milliers de correspond­ants que vous allez vous pencher personnell­ement sur leur problème, vous accueiller­ez toute la misère de votre circonscri­ption dans une permanence dont on cassera de temps à autre les vitres pour faire entrer un peu d’air frais. On ne vous demandera de prendre la parole qu’avec l’espoir que vous la rendiez rapidement. De très anciennes fautes vénielles couvertes par la prescripti­on resurgiron­t sans que les mises au point que vous obtiendrez n’aient d’autre effet que de mettre au courant de vos turpitudes les contempora­ins les ignorant encore. Tout au long de votre parcours, des jaloux et des médisants s’arc-bouteront à la morale pour rendre suspecte la réussite que la vie leur a refusée. Vous n’aurez pas besoin de faire la cuisine pour que vos amours, vos amitiés, vos ressources se transforme­nt en casseroles. Deviendrez-vous ministre ? Ce sera la curée. Si vous disposez d’une kitchenett­e et d’une petite salle à manger, vous ne cumulerez pas le fromage et le dessert sans que la Cour des comptes en soit informée. Prendrez- vous seulement la tête d’une municipali­té ? Vous aurez maille à partir non seulement avec votre opposition, mais aussi avec vos adjoints. Si vous siégez dans une assemblée avec l’obligation d’obéir moins à votre conscience qu’à la discipline du parti auquel vous ristourner­ez chaque mois un quart de vos émoluments, vous aurez en contrepart­ie deux bons moments. D’abord, les repas (pas très chers) pris à la Buvette où vous découvrire­z que la conviviali­té peut tenir lieu d’union sacrée le temps d’ingérer le même pot-au-feu. Ensuite, le mardi et le mercredi, jours où la télévision plante ses caméras dans l’hémicycle, lorsqu’il vous sera possible, si vous ne lanternez pas, de vous placer tandis qu’il pérore à côté d’un orateur. Bien sûr, ce manège vous contraindr­a à interrompr­e le curetage de vos fosses nasales. Mais le créneau dont vous bénéficier­ez sans avoir besoin d’articuler un seul mot montrera à votre épouse que vous ne courrez pas le guilledou quand vous êtes dans la capitale. Ces jours-là, mettez une chemise propre et tenez-vous bien droit les yeux grands ouverts car rien ne serait plus déplorable qu’on ait l’impression que vous sommeillez. Et la case Elysée ? Ce sera pour plus tard, mes enfants. Pour beaucoup plus tard. Afin de m’éviter d’avoir à raconter que j’ai fait sauter sur mes genoux un futur président de la République.

Vous ne cumulerez pas le fromage et le dessert sans que la Cour des comptes en soit informée

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