À LA RECHERCHE DU PARFUM PERDU
On a vu beaucoup de thèmes originaux portés au théâtre. Mais une pièce dont le sujet central serait le parfum, on ne l’aurait jamais imaginé ! On est donc allé voir Darius, qui est jouée par deux acteurs qu’on aime bien, Pierre Cassignard et Clémentine Célarié, celle-ci venant de surcroît d’être nominée aux prochains Molières pour son interprétation du rôle féminin de cette comédie.
Nous sommes sorti perplexe de cette représentation. Il est vrai que notre sensibilité olfactive est relative. Cette histoire, qui joue sur des ressorts émotionnels gros comme une maison et dont le héros est capable de mémoriser 200 odeurs, est assez insolite pour qu’on s’y intéresse. L’argument ? Claire, chercheuse au CNRS, a un jeune fils de 20 ans handicapé, atteint d’une maladie dégénérative grave, et auquel il ne reste pour communiquer que le toucher et l’odorat. Il vient à cette mère aimante l’idée de demander à un célèbre expert d’inventer un parfum qui permettrait à son fils, avant qu’il ne meure, de se rappeler par l’odorat tous les moments agréables ou joyeux qu’il a vécus, de telle sorte qu’il en tire un dernier bonheur et que sa famille en garde la trace. Ainsi le parfumeur va-t-il visiter certains lieux que le garçon a traversés, de Rome à Amsterdam, du métro de Paris à Djerba, et créer une fragrance dont les harmonies réveilleront sa mémoire.
Le projet de cette mère est saugrenu et touchant. Comme la pièce. Elle renvoie pour le mieux à la merveilleuse phrase de Proust (Du côté de chez Swann) : « Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes… » Profonde pensée qui a inspiré l’auteur de Darius, Jean-Benoît Patricot. Mais, si généreuse que soit son intention, sa traduction théâtrale, en termes forcément réalistes, en détruit la poésie. Ce qu’il y a de grâce, d’ineffable sous la plume de Proust, a quelque chose de grossier sous celle de Patricot. Le mot est fort, disons : concret. Matériel. Anecdotique. Il y avait là prétexte à roman plutôt qu’à théâtre. D’ailleurs, la pièce est écrite sous forme de lettres. A ce propos, on ne saurait trop féliciter Anne Bouvier d’avoir déjoué les problèmes que pose la mise en scène d’une correspondance. La sienne est ingénieuse, vivante, excellente. De même l’interprétation. Pierre Cassignard est plein d’énergie, de sincérité, de coeur. Clémentine Célarié est belle, forte, solaire et tendre à la fois. Darius, de Jean-Benoît Patricot, mise en scène d’Anne Bouvier, avec Clémentine Célarié et Pierre Cassignard. Théâtre des Mathurins, Paris VIIIe (01.42.65.90.00).
Il y avait là matière à roman plutôt qu’à théâtre