Le Figaro Magazine

À LA RECHERCHE DU PARFUM PERDU

- LE THÉÂTRE DE PHILIPPE TESSON

On a vu beaucoup de thèmes originaux portés au théâtre. Mais une pièce dont le sujet central serait le parfum, on ne l’aurait jamais imaginé ! On est donc allé voir Darius, qui est jouée par deux acteurs qu’on aime bien, Pierre Cassignard et Clémentine Célarié, celle-ci venant de surcroît d’être nominée aux prochains Molières pour son interpréta­tion du rôle féminin de cette comédie.

Nous sommes sorti perplexe de cette représenta­tion. Il est vrai que notre sensibilit­é olfactive est relative. Cette histoire, qui joue sur des ressorts émotionnel­s gros comme une maison et dont le héros est capable de mémoriser 200 odeurs, est assez insolite pour qu’on s’y intéresse. L’argument ? Claire, chercheuse au CNRS, a un jeune fils de 20 ans handicapé, atteint d’une maladie dégénérati­ve grave, et auquel il ne reste pour communique­r que le toucher et l’odorat. Il vient à cette mère aimante l’idée de demander à un célèbre expert d’inventer un parfum qui permettrai­t à son fils, avant qu’il ne meure, de se rappeler par l’odorat tous les moments agréables ou joyeux qu’il a vécus, de telle sorte qu’il en tire un dernier bonheur et que sa famille en garde la trace. Ainsi le parfumeur va-t-il visiter certains lieux que le garçon a traversés, de Rome à Amsterdam, du métro de Paris à Djerba, et créer une fragrance dont les harmonies réveillero­nt sa mémoire.

Le projet de cette mère est saugrenu et touchant. Comme la pièce. Elle renvoie pour le mieux à la merveilleu­se phrase de Proust (Du côté de chez Swann) : « Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste après la mort des êtres, après la destructio­n des choses, seules plus frêles mais plus vivaces, plus immatériel­les, plus persistant­es, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes… » Profonde pensée qui a inspiré l’auteur de Darius, Jean-Benoît Patricot. Mais, si généreuse que soit son intention, sa traduction théâtrale, en termes forcément réalistes, en détruit la poésie. Ce qu’il y a de grâce, d’ineffable sous la plume de Proust, a quelque chose de grossier sous celle de Patricot. Le mot est fort, disons : concret. Matériel. Anecdotiqu­e. Il y avait là prétexte à roman plutôt qu’à théâtre. D’ailleurs, la pièce est écrite sous forme de lettres. A ce propos, on ne saurait trop féliciter Anne Bouvier d’avoir déjoué les problèmes que pose la mise en scène d’une correspond­ance. La sienne est ingénieuse, vivante, excellente. De même l’interpréta­tion. Pierre Cassignard est plein d’énergie, de sincérité, de coeur. Clémentine Célarié est belle, forte, solaire et tendre à la fois. Darius, de Jean-Benoît Patricot, mise en scène d’Anne Bouvier, avec Clémentine Célarié et Pierre Cassignard. Théâtre des Mathurins, Paris VIIIe (01.42.65.90.00).

Il y avait là matière à roman plutôt qu’à théâtre

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