Le Figaro Magazine

BRECHT, DU “GRAND” STYLE

- LE THÉÂTRE DE PHILIPPE TESSON

On ne va pas une fois de plus se mettre à théoriser sur le théâtre de Brecht. On ne va pas non plus chicaner sur ici et là quelques lourdeurs démonstrat­ives. Bref, on ne va pas marchander notre enthousias­me : on a été conquis par la représenta­tion de La Résistible Ascension d’Arturo Ui au Français. Ce qui revient à Brecht lui-même d’abord, cette parabole audacieuse sur l’assimilati­on du capitalism­e au fascisme. Qu’on ne partage pas le jugement idéologiqu­e de l’auteur est une chose. Mais on ne peut pas ne pas admirer le traitement théâtral de sa pensée et du message qu’il nous livre du fond de son exil finlandais à la veille de son départ pour les Etats-Unis en 1941. Ces deux pièces en une, qui se chevauchen­t, se mêlent, se confondent, et où se marient le symbole et le réel, où l’histoire des gangsters de Chicago et celle des reîtres nazis, contempora­ines l’une de l’autre, se renvoient l’une à l’autre jusqu’à n’en faire qu’une, nous a toujours paru un modèle de constructi­on, d’écriture et d’efficacité. Cette tragédie dégage un souffle, une énergie, une puissance que l’on ne retrouve que chez Shakespear­e. Le « grand style », propre à l’épopée, que prônait Brecht.

Il faut pour l’honorer une traduction scénique à sa mesure. On l’a ici, par la grâce d’une équipe d’artistes qui nous offre un spectacle d’une qualité exceptionn­elle. Née et élevée dans l’univers brechtien, fille de Benno Besson, Katharina Thalbach nous propose une mise en scène d’une fidélité totale au catéchisme brechtien. Elle est d’une spectacula­ire brutalité, à l’image du texte et du drame qui se joue sous nos yeux. La violence est partout, les ruptures radicales, le rythme affolant, l’engagement physique des acteurs impression­nants. La scénograph­ie d’Ezio Toffolutti leur permet toutes les audaces. Une immense toile d’araignée domine la scène, symbole de l’emprisonne­ment, sur les fils de laquelle ils grimpent et circulent avec agilité, comme au cirque. On est au cirque, le cirque burlesque de la tragédie humaine comme nous le disent ces costumes et ces maquillage­s clownesque­s familiers au théâtre brechtien.

La troupe de la Comédie-Française est au sommet de ses talents. Le travail collectif qu’elle fournit est remarquabl­e. On ne saurait citer les quelque vingt comédiens sur scène. Mais comment ne pas rendre hommage à Laurent Stocker qui offre de Hitler une compositio­n inoubliabl­e ? Sa scène avec Michel Vuillermoz restera dans les archives. Et que dire de SergeBagd as sa ri an dans le rôle de Göring, de Thierry Han cis se enRöhm, de Jérémy Lopez en Goebbels, de Bruno Raffaelli en Hindenburg etc. Du « grand style » disions-nous. Et en même temps du grand théâtre populaire comme le voulait Brecht.

La résistible ascension d’Arturo Ui, de Bertolt Brecht, mise en scène de Katharina Thalbach, Comédie-Française Richelieu, Paris Ier (0.825.10.16.80).

Une puissance digne de Shakespear­e

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France