Le Figaro Magazine

PIERRE BÉNICHOU, ÉCRIVAIN SANS LIVRE

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Longtemps j’ai pris Pierre Bénichou pour un « artiste sans oeuvre », selon l’expression de Jean-Yves Jouannais. Je le croyais trop orgueilleu­x pour publier. Or voici que je tiens entre mes mains son premier livre. C’est un petit recueil de nécrologie­s qui réunit les rares portraits que Bénichou publia dans le Nouvel Observateu­r quand il en était le rédacteur en chef, c’est-àdire pendant une trentaine d’années. On ne va pas crier qu’un écrivain est né à 79 ans, il trouverait la flagorneri­e grotesque. Nous préférons lui ressortir la vanne de Céline à Blondin : « Au moins vos livres légers ne me font pas mal aux pieds quand ils me tombent des mains. » Bénichou est aujourd’hui le remplaçant de Jean Dutourd aux « Grosses Têtes » de RTL, dans le rôle de l’intellectu­el dont on se demande ce qu’il fait là. Longtemps j’ai espionné Bénichou chez Castel. Son numéro était rodé : mélange de faconde piednoir et de cuistrerie loufoque. Le brio comique et le vernis culturel cachaient l’angoisse de l’artiste refoulé. Bénichou était le seul noctambule capable de citer une réplique d’Edgar Faure entre deux blagues pornos. Passé huit heures du soir, mieux valait ne pas se mettre à dos pareil orateur dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés. Je sais aujourd’hui la chance que j’ai eue de croiser dans ma jeunesse des personnage­s comme Pierre Bénichou, le seul journalist­e plus pares- seux que Bernard Frank. Ses 26

« profils » de morts célèbres, d’Aragon à Lino Ventura en passant par Fellini, Gainsbourg et Ferré, ont une sincérité et une pudeur que je ne lui connaissai­s pas. Evidemment, en parlant de ses idoles, il brosse son autoportra­it. Sa défense de Jean Cau est une merveille. On dit que les grands écrivains ressemblen­t à leurs écrits, mais l’écriture peut aussi trahir ce qu’on cache à l’oral. On ne crâne plus quand on parle de quelqu’un qu’on aimait et qui vient de mourir. Sans risquer d’être contredit par le cadavre encore tiède, Bénichou essaie dans ces hommages de dérider des foules en larmes. Il ressuscite les morts : le Christ est-il né à Oran ? J’ai essayé de trousser cette critique à sa façon, comme si Bénichou venait de passer l’arme à gauche et que je doive en parler très vite, un soir de bouclage, venant d’apprendre la triste nouvelle. Je suppose qu’à son enterremen­t, il y aura tout Paris et que tous, amis ou ennemis, diront la même chose : il était drôle, il était brillant, ah si seulement il avait écrit plus souvent, au lieu de perdre son temps chez Ruquier. Et moi je leur répondrai : peut-être que Bénichou était bon parce qu’il était rare. Les absents, levez le doigt !, de Pierre Bénichou, Grasset, 140 p., 15,90 €.

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