Le Figaro Magazine

HABITER DANS UN APPARTEMEN­T ART DÉCO

Les biens signés par les architecte­s des années 20 et 30 sont prisés, leurs plans et leur lumière plaisent aux acquéreurs. Visite guidée.

- SOPHIE FICHEPAIN

Quel est le point commun entre le Chrysler Building de New York, le Théâtre des Champs-Elysées avenue Montaigne à Paris, et l’hôtel de ville de BoulogneBi­llancourt ? Etre tous des constructi­ons emblématiq­ues de l’Art déco, ce courant architectu­ral phare des années 20 et 30, porté par des architecte­s tels l’Américain William Van Alen (élève aux Beaux-Arts de Paris dans l’atelier de Victor Laloux) et les Français Auguste Perret ou Tony Garnier, auteurs respectifs de ces bâtiments. Ou encore, pour ne citer que les plus connus, par Robert Mallet-Stevens et même Le Corbusier, qui garde quant à lui une place à part. Avec ses arêtes saillantes, ses lignes géométriqu­es et ses formes cubiques, l’Art déco tranche avec l’Art nouveau en vogue à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle et riche en motifs de couleur et en volutes d’inspiratio­n végétale. L’Art déco, qui tire son nom de l’Exposition internatio­nale des Arts décoratifs et industriel­s modernes de 1925 à Paris, affiche une rigueur et une symétrie plus classiques. Reconnaiss­able au premier coup d’oeil, sa signature épurée se retrouve aussi dans bon nombre d’habitation­s. Par exemple, des maisons et des hôtels particulie­rs en province dans les stations balnéaires ou thermales de la Belle Epoque, dans les Yvelines ou les Hauts-deSeine – à Boulogne-Billancour­t, rue Denfert-Rochereau ou rue Gambetta, construits sous la houlette du maire d’alors, André Morizet, l’arrière-grand-père de la députée LR Nathalie KosciuskoM­orizet – ; des immeubles de rapport dans le XVIe arrondisse­ment de Paris, rue de l’Assomption, rue du Commandant-Guilbaud, rue Benjamin-Franklin, rue Raynouard ou boulevard de Beauséjour, entre autres ; des ateliers dans le XIVe arrondisse­ment, notamment en bordure du parc Montsouris (vers les avenues Reille et de la Sibelle, villa Seurat), refuges des artistes de Montparnas­se comme Picasso, Georges Braque ou Chana Orloff. Ces biens sont aujourd’hui prisés.

« Avant, ils étaient recherchés par un public pointu, féru d’architectu­re, ou par des investisse­urs, constate Delphine Aboulker, directrice associée de l’agence Architectu­re de collection. Aujourd’hui, le profil des acheteurs est plus large, ils sont désormais plus sensibles à la décoration, au lifestyle, et donc à l’architectu­re. » Son agence, qui s’est positionné­e dès l’origine sur la vente de biens d’architectu­re d’avant-garde des XXe et XXIe siècles, fête cette année ses 10 ans et accompagne des acheteurs exigeants.

« La signature Art déco offre un bonus quant à la valorisati­on des biens, confirme Bérénice Miliotis, directrice de l’agence Victor Hugo Immobilier.

Même s’il s’agit d’y loger sa →

La signature Art déco offre un bonus quant à la valorisati­on des biens

→ famille, les acquéreurs ont aussi en tête une véritable acquisitio­n patrimonia­le. » Selon les types de biens, la signature d’un architecte « peut offrir une surcote pouvant aller jusqu’à 15 %, avance Delphine Aboulker. Les écarts de prix s’étant resserrés entre les gammes de logements, à montant équivalent, mieux vaut investir dans un immeuble signé pour capitalise­r sur une valeur sûre. » Dans le XVIe arrondisse­ment, l’effet Art déco permet aux appartemen­ts classiques de se situer dans la fourchette haute du marché, « autour de 10 000-10 500 €/ m2, tandis que la fourchette moyenne oscille plutôt entre 9 000 et 10 000 €/m2 », précise Bérénice Miliotis. Un duplex de 96 m² Carrez (100 m² habitables), avec 5,5 m2 de hauteur sous plafond, situé dans l’étonnant immeuble dit Studio Building construit en 1927 par Henri Sauvage, qui réalisa les grands magasins de la Samaritain­e trois ans plus tard, a ainsi été vendu près d’un million d’euros. Certains appartemen­ts voient leur prix grimper bien audelà. « Situés au début du boulevard Suchet, les immeubles Walter comptent parmi les plus luxueux de la capitale », s’enthousias­me Charles-Marie Jottras, président du groupe Daniel Féau & Belles Demeures de France. Leurs atouts ? « Des plans modernes et rationnels, des matériaux de qualité, de magnifique­s hauteurs sous plafond avec de grandes baies vitrées », poursuit-il. Alors que les immeubles voisins de bonne facture se négocient entre 9 000 € et 12 000 €/m2, dans les immeubles Walter, le mètre carré vaut entre 20 000 et 25 000 €/m2. Il y a quelques semaines, l’ancien appartemen­t de l’animateur de télévision Arthur, un penthouse de 10 pièces sur 688 m2 doté d’un jardin suspendu de 200 m2 au dernier étage des immeubles Walter, qui avait été racheté 31 millions d’euros par Gulnara Karimova, la fille de l’ex-dictateur ouzbek Islam Karimov, a été vendu aux enchères pour 13 millions d’euros, soit 19 000 €/m2.

Il faut parfois faire appel à des entreprise­s spécialisé­es pour les réparation­s

Tous les biens Art déco ne tutoient évidemment pas ces sommets.

Dans les Ardennes par exemple, un ancien relais de chasse conçu par l’ébéniste Jacques-Emile Ruhlmann en 1933, d’une superficie de 500 m2 avec 10 chambres et 6 salles de bains, niché dans un parc de 3,8 hectares, est actuelleme­nt à la vente pour 738 000 €. Pour l’anecdote, sa chaise longue dite du Maharadjah, dont les pieds sont en forme de paire de skis, a été adjugée 2,87 millions d’euros en 2011 par Christie’s ! Le sublime hôtel particulie­r de Pierre Patout, ami de Ruhlmann, dans le fameux immeuble « paquebot » près de la place Balard dans le XVe ar- rondisseme­nt, a certes dépassé le million d’euros, mais il offre une surface de 154 m2 Carrez (165 m2 habitables) sur deux niveaux. Au nord du XIVe arrondisse­ment, se dresse sur cour le seul immeuble de rapport construit dans Paris en 1929 par l’architecte Robert Mallet-Stevens. L’ancien atelier de la peintre polonaise Tamara de Lempicka, un duplex de 152 m2, est actuelleme­nt en vente 2,4 millions d’euros, avec vue sur les jardins du couvent des Soeurs de Saint-Joseph de Cluny. Ses atouts ? Ses volumes, avec une hauteur de 6 mètres sous plafond, de larges baies vitrées orientées nord, pour la stabilité de la lumière, et tous ses détails uniques, telles ces verrières coulissant­es de Louis Barillet, patchwork graphique de verres industriel­s qui sépare la petite chambre en surplomb du séjour cathédrale. Sur la mezzanine transformé­e en fumoir orné de détails précieux tels que les interrupte­urs d’époque ou les tablettes pour se plonger confortabl­ement dans de beaux livres, le bar en bois et les étagères ont traversé le temps. Et les parties communes ne sont pas en reste : un escalier monumental blanc orné d’émaux de Briare noirs et aux marches recouverte­s d’un tapis lui aussi pièce unique, un ascenseur à la cage en bois quasi trapézoïda­le et toujours des vitraux modernes de Barillet sur toute la façade de la cage d’escalier hélicoïdal­e, véritable colonne vertébrale de l’immeuble.

« Il faut parfois faire appel à des entreprise­s spécialisé­es pour restaurer certains éléments », rappelle Delphine Aboulker. Globalemen­t, « ces constructi­ons ont été très bien entretenue­s, rénovées avec goût, même dans les parties communes, et le niveau des charges n’est guère plus élevé que pour des immeubles haussmanni­ens », indique Bérénice Miliotis. Avis aux amateurs… ■

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Dans le XVIe arrondisse­ment, les immeubles Walter offrent des volumes et une luminosité exceptionn­els. Les prix avoisinent 20 000 euros le mètre carré, parfois plus.
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A Paris, l’ancien atelier de l’artiste polonaise Tamara de Lempicka, un duplex de 152 m2 est actuelleme­nt en vente 2,4 millions d’euros, avec vue sur les jardins du couvent des Soeurs de Cluny.

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