La page d’histoire de Jean Sévillia
Aux Etats-Unis, plusieurs centaines de villes portent le nom de La Fayette. Mais quel Américain connaît Vergennes ? Henry Kissinger, qui possède une solide culture historique, caractéristique rare dans son pays, ne le cite même pas dans son histoire de la diplomatie. C’est précisément ce fait qui a incité Bernard de Montferrand, ambassadeur de France ayant occupé les postes les plus prestigieux, à retracer la vie et l’oeuvre de celui qui a aidé les Etats-Unis à naître et qu’il considère comme « un des grands ministres des Affaires étrangères français, dans la tradition de Richelieu et de Mazarin ». Le résultat est cette captivante biographie qui, au-delà du portrait d’un maître de la diplomatie française, brosse un tableau éclairant des enjeux internationaux du dernier tiers du XVIIIe siècle, et montre à quel point son personnage a contribué à « la gloire de Louis XVI ».
Avec ses attaches provinciales (en Bourgogne), ses origines protestantes, sa formation de juriste, son peu de goût pour les jeux de cour à Versailles, Vergennes n’est pas de ces aristocrates flamboyants comme l’Ancien Régime en a tant connu. Diplomate de terrain, l’homme a pour unique souci, de Lisbonne à Constantinople, de servir les intérêts français.
Son destin bascule en 1774 lorsqu’il devient secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères de Louis XVI, fonction qu’il occupera jusqu’à sa mort, en 1787. Treize années au cours desquelles il s’efforcera de mettre en pratique sa conception d’une politique extérieure fondée moins sur l’hégémonie que sur l’équilibre des forces, équilibre appuyé sur l’autorité du droit public. La plus belle réussite du ministre sera le traité de Versailles de 1783 qui, vengeant l’humiliant traité de Paris signé vingt ans plus tôt, mettra fin à la guerre d’Indépendance américaine, actera la reconnaissance des Etats-Unis par l’Angleterre, portera un coup d’arrêt à la prépondérance maritime des Britanniques et imposera sur le continent des conditions particulièrement favorables à la France. La tête froide, adepte de la Realpolitik avant l’heure, Vergennes savait que la politique étrangère, pour atteindre ses buts, doit se défier de la passion et des systèmes idéologiques. Une leçon pour aujourd’hui. Vergennes, la gloire de Louis XVI, de Bernard de Montferrand, Tallandier, 448 p., 24,90 €.