ENQUÊTE DANS L’OUEST TRÈS TRÈS SAUVAGE
CRAIG JOHNSON
Même au pays des cow-boys, il arrive que l’on croie mordicus aux anges ou aux lutins. Une vieille dame vivant seule dans sa ferme isolée du Wyoming est en tout cas persuadée que des créatures célestes ou merveilleuses lui effectuent des petits travaux de bricolage dès qu’elle a le dos tourné, et se servent discrètement dans le réfrigérateur en échange. Mais quand le shérif Longmire découvre, blotti dans un appentis, un jeune fugueur apeuré aux allures d’enfant sauvage, le beau conte de Grimm (version country) s’effondre. Et les choses tournent même franchement au vinaigre lorsque le policier essaie alors de ramener le gosse chez les siens et se retrouve soudain, sur le territoire de sa propre juridiction, devant le camp retranché d’une étrange communauté sectaire et polygame, armée jusqu’aux dents et protégée par de menaçants miradors. Commence alors un combat inégal, d’une extrême violence… S’il ne fallait garder qu’un épisode des aventures de l’inébranlable shérif du comté d’Absaroka pour convaincre des lecteurs encore récalcitrants ou dubitatifs d’y fourrer le bout de leur nez, cette neuvième enquête ferait idéalement l’affaire. La Dent du serpent concentre tout ce dont on raffole dans cette série policière, à commencer par les paysages somptueux des hautes plaines et des Bighorn Mountains, et les vestiges d’un Ouest sauvage où, il n’y a pas si longtemps encore, on pendait haut et court un membre de la bande de Butch Cassidy. Avec cette enquête qui va crescendo, démarrant sur une évocation amusée (et amusante) de Mon amie Flicka (le classique de Mary O’Hara, gloire littéraire du Wyoming) pour finir sur celle, nettement plus tragique, du massacre de Waco (76 morts lors de l’assaut de la secte des Davidiens de David Koresh, en 1993), Craig Johnson souffle comme à son habitude le chaud et le froid, joue avec les clichés d’une Amérique immortelle et les traumatismes d’un pays blessé, pour signer un formidable polar aux allures de grand western moderne, et – au passage – sans doute l’un de ses meilleurs livres.
La Dent du serpent, Gallmeister, 384 p., 22,80 €. Traduit de l’anglais (EtatsUnis) par Sophie Aslanides.