UNE ENFANCE UNIQUE
Ces derniers temps, Richard Ford ne donne pas franchement l’air d’être dans la romance au long cours : après quatre nouvelles frustrantes car se lisant comme des débuts de romans très prometteurs (En toute franchise), il recycle un texte paru en 1988 : dans Ma mère, le grand écrivain évoquait son enfance via le prisme d’Edna Ford. Il lui ajoute en préambule 100 pages sur son père et réunit les deux en un volume joliment titré Entre eux. Cet attelage curieux – à de rares exceptions près, il raconte deux fois les mêmes choses avec deux héros différents - a tout pour ne pas fonctionner. Mais l’intelligence de Ford opère un miracle et cette évocation de l’enfance dans le Sud marche sur ses deux jambes. Sa distance, son sens de l’analyse brillante, ses phrases fulgurantes, d’autant plus impressionnantes que le style épuré est à la limite de l’oralité, charrient de l’émotion à chaque page. Ce père ,voyageur de commerce mort dans ses bras en 1960 lorsqu’il avait 16 ans, et cette mère, qui disparaîtra d’un cancer peu de temps après que son fils lui eut dit une phrase qu’il regrette encore, sont évoqués avec pudeur, mais aussi avec profondeur. Ce que Ford dissèque, ce n’est pas seulement l’héritage que nous transmettent nos parents, c’est surtout la singularité des enfants uniques, qui donne son titre à l’ouvrage… A un moment, Ford raconte ses séjours avec ses parents quand il était enfant au prestigieux Hotel Monteleone de La Nouvelle-Orléans. Aujourd’hui, sa photo est dans le hall, à côté de celle d’Hemingway.
Entre eux, de Richard Ford, L’Olivier, 176 p., 19,50 €. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Josée Kamoun.