Le Figaro Magazine

NICOLAS REY : ATTENTION FRAGILE

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Nicolas Rey a connu un léger passage à vide. En 2010, il en a fait un livre, qui portait ce titre. C’est alors qu’il a changé. Auparavant, il semblait avoir toujours vingt ans, il publiait des petits romans légers, des histoires de bitures avec des jolies filles. Bref, c’était le bonheur. Ce truc ne dure pas longtemps mais on s’en aperçoit trop tard, quand il s’est envolé. A partir de 2010, Rey s’est transformé physiqueme­nt. Ses cheveux ont blanchi. Il a un peu grossi, parce qu’il a arrêté de boire. Depuis, Nicolas Rey semble avoir toujours quarante ans et raconte la vie d’un alcoolique dépressif, abandonné par sa femme, sauvé par ses enfants. Les étapes de la vie d’un romantique sont immuables depuis Alfred de Musset : jeunesse fougueuse, premières déceptions, débauche destructri­ce, solitude désabusée, fin amère. Nicolas Rey a affronté chacune des stations de son chemin de croix avec le même flegme. Il sait condenser sa tristesse en phrases lapidaires qui sont autant de flèches empoisonné­es. Il ne trempe plus sa plume dans le champagne mais dans la sincérité. On peut être brisé et élégant. L’autre jour, je suis allé le voir lire ses textes sur la scène de la Maison de la poésie. Un guitariste l’accompagna­it : c’était bouleversa­nt. Réellement le plus beau spectacle que j’ai vu cette année au théâtre - mais j’y vais moins souvent que Philippe Tesson. Son dernier recueil de nouvelles est sorti en même temps que ce- lui d’Anna Gavalda. La concurrenc­e est déloyale.

Des nouvelles de l’amour est un ouvrage fragile, composé de séquences émotion, de microficti­ons à la Jauffret, de petits monologues chafouins : un enfant qui regarde sa famille dormir, un fumeur qui intoxique ses rejetons, un fiancé qui ne veut pas se marier. Il y en a une intitulée : La Plus Belle Fête du système solaire. Ces Polaroid discrets du malheur masculin méritent votre attention, ou alors la littératur­e contempora­ine ne sert plus à rien. J’ai l’impression que tout l’univers a été trop dur, sale, cruel, hostile, injuste avec Nicolas Rey. Nous ne l’avons pas pris assez au sérieux quand il se lamentait sur les ondes de France Inter ou dans son court-métrage césarisé, La Femme de Rio (2015). Certains ont cru qu’il s’amusait trop et ne le lui ont pas pardonné. Il y a des artistes qui devraient être protégés comme certaines espèces d’animaux en voie de disparitio­n, par exemple les rhinocéros. Ils ont une forme bizarre, on ne comprend pas très bien leur utilité, mais une chose est sûre : le monde sera plus moche quand ils ne seront plus là.

Des nouvelles de l’amour, de Nicolas Rey,

La Martinière, 174 p., 16 €.

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