CE QUI VA CHANGER
L’ISF doit être recentré sur le seul patrimoine immobilier, que le chef de l’Etat oppose aux investissements productifs. Mais des inconnues demeurent.
L’impôt sur la fortune immobilière, comme l’ISF aujourd’hui, s’ajouterait à une fiscalité déjà très lourde sur le logement
En affirmant, durant la campagne électorale, vouloir taxer la « rente immobilière », Emmanuel Macron a fâché bien des propriétaires ! Le discours et la philosophie du programme présidentiel ne les ont pas ménagés. Dans la bouche du nouveau président et de son équipe, la pierre a bien souvent été opposée aux « bons placements » que seraient les valeurs mobilières et qui serviraient seules à financer l’économie. « Notre objectif est de soutenir ceux qui prennent des risques », explique le programme d’En Marche !
Pour encourager l’orientation de l’épargne vers les actions, obligations et autres parts de sicav, le nouveau chef de l’Etat a notamment choisi d’actionner le levier fiscal, et de resserrer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) sur le seul patrimoine immobilier. Les règles de ce nouvel impôt, baptisé impôt sur la fortune immobilière (IFI) ne devraient pas différer de celles de l’ISF : les seuils d’assujettissement et les taux pratiqués devraient rester inchangés. Seuls les ménages dont le patrimoine immobilier est supérieur à 1,3 million d’euros s’acquitteront ainsi du nouvel IFI.
« L’IFI est un vrai point de divergence avec Emmanuel Macron », regrette Jean Perrin, le président de la fédération d’associations de propriétaires UNPI. Une part importante du patrimoine des Français, y compris ceux qui sont assujettis à l’ISF, est en effet constituée d’immobilier. Fin 2014, la pierre représentait près de 64 % de ce patri- moine, selon l’Insee. Cette part est, certes, moins importante chez les contribuables aisés. Il n’empêche : une fois les valeurs mobilières exclues de l’assiette de l’ISF, le futur IFI devrait continuer à rapporter, selon les calculs d’En marche ! quelque 3 milliards d’euros contre 5,2 milliards en 2015.
« Ce nouvel impôt touchera la résidence principale, la résidence secondaire et les investissements locatifs, comme l’ISF aujourd’hui. Il s’ajoute comme lui à une fiscalité très lourde sur le logement, qui est de nature à décourager les investisseurs de se tourner vers le locatif », déplore Alexandra François-Cuxac, présidente de la Fédération des promoteurs immobiliers. Aux yeux des promoteurs immobiliers, il est, par ailleurs, absurde que l’Etat persiste à donner →
→ des avantages fiscaux aux ménages pour booster la construction de logements, via le dispositif Pinel, par exemple, pour reprendre ce qu’il a donné de l’autre côté en taxant le patrimoine immobilier ! « Nous militerons pour sortir l’investissement neuf de l’assiette de l’IFI », promet Alexandra François-Cuxac. L’impôt, dont s’acquitteront les Français disposant d’un patrimoine de plus de 1,3 million d’euros, ne devrait cependant pas augmenter, assurent les concepteurs du programme économique du Président. « L’ISF est modifié, mais il n’est pas alourdi, rappelle Thaline Melkonian, responsable de l’ingénierie patrimoniale chez Degroof Petercam. L’abattement de 30 % sur la résidence principale demeure. Personne ne devrait donc être lésé. » Certains ménages qui s’acquittaient de l’ISF repasseront même sous le seuil d’assujettissement du nouvel impôt, une fois soustraits leurs biens mobiliers. D’autres verront leur impôt baisser, promet l’équipe nouvellement élue. « La réforme allégera en moyenne de moitié la charge fiscale des contribuables assujettis à l’ISF », avance Emmanuel Macron dans son programme. L’objectif de la réforme est cependant bel et bien de détourner les ménages de l’immobilier pour les encourager à investir sur les marchés financiers. La carotte fiscale que constitue l’exonération d’ISF pour les valeurs mobilières pourrait-elle dissuader certains ménages d’investir dans l’immobilier ? « Il est peu probable que des propriétaires choisissent de vendre leurs biens immobiliers pour s’adapter à cette nouvelle donne fiscale. Mais ceux qui auront de l’argent à placer arbitreront peut-être différemment et privilégieront les valeurs mobilières afin de ne pas rentrer dans le champ de l’IFI », anticipe Jean Perrin. Pour Benjamin Spivac, de la société de gestion Am- plegest, les épargnants de moins de 70 ans auront, notamment, tout intérêt à opter pour un contrat d’assurancevie qui leur permettra à la fois d’éviter de payer l’ISF et de bénéficier d’un avantage fiscal pour transmettre leur patrimoine.
« Les rendements des actifs financiers ne sont cependant pas mirobolants. Une fois soustraits les frais de gestion et l’inflation, ils sont parfois négatifs et s’avèrent souvent plus risqués, constate Olivier Rozenfeld, président de Fidroit. Je ne suis pas sûr que le gain fiscal potentiel soit toujours à même de compenser ces inconvénients. » Les Français restent de surcroît très attachés à la pierre. « Vingt ans de pratique le confirment : l’appétit des Français pour la pierre ne s’est jamais démenti. L’immobilier est un investissement culturel qui présente l’avantage d’être peu volatil. A ce jour, le foncier est taxé à hauteur de 64,5 %, tandis que l’assurancevie ne l’est qu’à 23 %, après huit ans. Cette fiscalité très lourde n’a pas dissuadé les Français d’investir dans l’immobilier », constate Thaline Melkonian. Les conseillers en gestion de patrimoine phosphorent déjà sur les « astuces » envisageables pour échapper à l’IFI sans renoncer à son patrimoine immobilier. Ils se demandent ainsi si la création d’une société
Les représentants des propriétaires craignent une hausse de la taxe foncière
civile immobilière (SCI) ne pourrait pas, par exemple, avoir la vertu de transformer votre patrimoine immobilier en patrimoine mobilier. « On peut imaginer qu’un propriétaire vende son bien immobilier à une SCI, qui s’endette pour l’acquérir. De cette façon, le bien immobilier ne figure plus dans l’assiette de l’IFI et les revenus fonciers générés sont diminués des charges de remboursement, et donc moins taxés », imagine Olivier Rozenfeld.
Seul inconvénient de ce montage : la taxe sur les plus-values s’appliquerait lors de la vente du bien immobilier à la SCI. Au propriétaire de faire son calcul en fonction de la valeur de son bien, et de voir s’il a intérêt à s’acquitter de cette taxe pour échapper au futur IFI… Mais certaines inconnues demeurent, qui rendent bien difficile d’échafauder des stratégies. La future majorité pourrait, par exemple, intégrer les SCI dans le champ de l’IFI pour éviter ces contournements. « L’administration fiscale est ellemême de plus en plus précise et attentive à éviter les abus », relève Thaline Melkonian. Quid, par ailleurs, du plafonnement de l’impôt, ISF compris, à 75 % des revenus d’un contribuable ? Sera-t-il maintenu tel quel ?
D’autres mesures inquiètent, par ailleurs, les propriétaires. Si Jean Perrin, de l’Unpi, se réjouit de la volonté d’Emmanuel Macron d’exonérer de taxe d’habitation 80 % des Français, il redoute un coup de massue pour les 20 % restants… « Puisque ces 20 % ne représentent pas la majorité des électeurs, les élus risquent d’avoir moins de scrupules à augmenter leur taux de taxe d’habitation. Nous craignons aussi que les collectivités locales ne compensent un éventuel manque à gagner en augmentant la taxe foncière. » D’autres inconnues planent sur les finances des propriétaires : les SCPI, ces fonds qui permettent d’investir dans la pierre à partir de quelques centaines d’euros, figureront-ils dans l’assiette de l’IFI en tant qu’investissements immobiliers ou en seront-ils exclus ? Et les revenus fonciers tirés de la location d’un bien immobilier : seront-ils concernés par la flat tax de 30 % qu’Emmanuel Macron souhaite mettre en place pour simplifier la fiscalité des placements financiers ? Son programme précise qu’elle ne concernera que les revenus tirés du capital mobilier. Mais les parlementaires pourraient en décider autrement. Certains propriétaires investisseurs, ceux dont les loyers étaient jusqu’à présent taxés au barème progressif de l’impôt sur le revenu, seraient alors gagnants. Il faudra attendre l’élaboration du premier budget du quinquennat à l’automne pour y voir plus clair.■