Le jade des Maoris au musée du Quai Branly
Inédit : le musée du Quai Branly-Jacques Chirac expose les trésors de jade du peuple océanien qui occupa la Nouvelle-Zélande. Une surprenante et fascinante découverte.
Pour témoigner leur affection, les Maoris se frottaient le nez l’un contre l’autre. Voilà qui donne envie de les connaître… L’occasion nous en est donnée ce printemps et cet été. Plusieurs membres d’une tribu, les Ngai Tahu, viennent à Paris, au musée du Quai Branly, non pas pour frotter le nez du directeur, mais pour chanter, danser et, ainsi, bénir l’exposition qui s’inaugure sur « La Pierre sacrée des Maoris ». Un rituel de purification indispensable car les objets en question sont « chargés », porteurs du mana de leur possesseur, une force surnaturelle héritée des dieux. Bienvenue en terre maorie ! Pour conter leur culture et leurs mythes, le musée national néo-zélandais Te Papa Tongarewa nous apporte des photographies, des films et des trésors. Catalogue trilingue : français, anglais, maori.
Voici plus de huit cents ans que ces navigateurs, aventuriers partis de Polynésie, abordèrent l’archipel le plus au sud du continent qu’ils baptisèrent Aotearoa, « long nuage blanc », en référence à l’apparition qu’ils eurent de l’île à l’horizon. Ils furent les premiers habitants de Nouvelle-Zélande (et ne représentent plus que 15 % de la population actuelle, ce que tous les commentateurs de rugby ne manquent pas de rappeler lors de chaque rencontre des All Blacks). Dans une région bordée de glaciers et de fjords, à l’ouest de l’île du Sud, ils découvrirent des gisements d’une pierre verte, qu’on appellera jade ou pounamu. On en trouve des blocs, détachés de la roche par érosion, dans les lits des rivières, lesquels sont, parfois, charriés vers la mer. C’est l’or vert. Infiniment précieux. Avant l’arrivée des Européens, il servait de monnaie.
Le minerai est remarquable pour sa beauté, mais également pour sa dureté. D’aucuns s’y sont essayés, même une fraise de dentiste ne peut l’entamer ! La pierre est si résistante qu’on en façonna des outils. Et des massues. Pif ! Paf ! Poum ! Les lames des herminettes cérémonielles en bois sculpté que brandissent les puissants chefs des tribus sont aussi taillées dans cette pierre verte. Les jades s’échangeaient contre des denrées de valeur, étoffes ou canoës. Ils s’offraient pour sceller une amitié, pour célébrer un acte héroïque. Ils se transmettaient de génération en génération. Plus la lignée remonte loin, plus l’objet est chéri.
L’exposition du Quai Branly présente des « pierres à toucher ». O joie : pour une fois, le visiteur est invité à caresser une pièce de musée. Conscient de la densité de la pierre, il n’en admirera que mieux la dextérité des artisans capables de sculpter des pendentifs en forme d’hameçon ou de chauve-souris. « Les ornements maoris sont d’autant plus étonnants, souligne Nicolas Garnier, responsable des collections Océanie, que, dans les îles du Pacifique, la pierre fut rarement utilisée pour la fabrication de parures, contrairement à l’os. » Le plus emblématique de ces ornements est une figure anthropomorphe, le fameux hei tiki, étrange personnage aux yeux ronds cernés de cire rouge, affublé d’une grosse tête, en particulier dans les modèles antérieurs au XVIIIe siècle, qui fait penser à un embryon ou à un Martien. S’agit-il d’une divinité ? D’un humain en cours de métamorphose ? Mystère… Toujours est-il que la collection du Te Papa ne laisse pas de marbre : elle compte 96 hei tiki !
Si, pour nous, esprits cartésiens, rien ne ressemble plus à un hei tiki qu’un autre hei tiki, les Maoris les classent selon leur couleur, leur translucidité, leurs inclusions. On distinguera, notamment, l’inanga, qui doit son nom à un poisson d’eau douce, prisé pour sa couleur argentée. Il y a le kahurangi, le plus rare, qui exprime la clarté du ciel, hautement transparent, d’un vert très vif ou encore le tangiwai, « l’eau des larmes », aussi limpide que le verre… Aussi la scénographie prévoit-elle de subtils éclairages pour faire apparaître les différentes tonalités. Prêtons aussi l’oreille : certaines variétés auraient des qualités acoustiques, elles émettraient le son d’une cloche. L’exposition s’achève sur des oeuvres contemporaines. Car la vénérable pierre verte est encore exploitée et, bien sûr, inspire des artistes. Elle n’est plus seulement associée aux Maoris, elle est devenue l’emblème national de la NouvelleZélande. Aux Jeux olympiques, un objet en pounamu, symbolisant la fierté et l’esprit d’équipe, porte bonheur aux athlètes.
LAURENCE MOUILLEFARINE « La Pierre sacrée des Maoris », musée du Quai Branly-Jacques Chirac, jusqu’au 1er octobre, Paris VIIe. www.quaibranly.fr