Le bloc-notes de Philippe Bouvard
Preuve que la bonne vieille loi des compensations est davantage d’actualité que la loi travail : quand un quinquennat s’est péniblement étiré, le mandat qui suit a tendance à battre tous les records de rapidité. On l’a constaté dès le premier jour lorsque le nouveau président, même pas chevalier le matin, s’est retrouvé le soir grand-croix de la Légion d’honneur, promu de surcroît chef des armées alors que sa génération a été dispensée de service militaire. Ensuite, tout est allé très vite de la montée des Champs-Elysées à bord d’un command-car pas plus protégé des averses qu’une familiale au toit ouvrant bloqué aux 21 coups de canon ayant précédé l’appel à la société civile en passant par le festival des tapes sur la joue qui fait déjà de Macron un président aussi tactile que Sarkozy. Mais au lieu d’aller dîner le soir même avec Angela comme l’avait fait Hollande le mari de Brigitte a-t-il attendu le lendemain. Non sans avoir choisi un Premier ministre susceptible de déstabiliser la droite avant de remettre la France à l’équilibre. Place à l’inexpérience ! Elle a au moins le mérite d’exclure qu’on ait pu se tromper dans le passé. De la même façon que l’année dernière encore, la Journée défense et citoyenneté permettait aux ex-conscrits de se familiariser en trois heures avec le fonctionnement d’une grande puissance nucléaire, la réunion durant tout un après-midi l’autre semaine des futurs députés de la majorité présidentielle a été menée tambour d’Arcole battant. Rivarol avait tout prévu à la fin du XVIIIe siècle qui, bien que n’ayant pas connu Bruno Le Maire, disait « Dans chaque ami, il y a la moitié d’un traître » avant d’ajouter « On ne va jamais si loin que lorsque l’on ne sait pas où l’on va ». C’est grâce à ces accélérations de l’histoire que M. Macron pourra dès 2022 et seulement âgé de 44 ans toucher une retraite à taux plein. Mais quel avancement offrir ensuite à un ambitieux aussi frénétique ? Président de l’Europe si elle existe encore. Ou – mieux – PDG du Monde ! Dommage qu’une fois de plus, la loi travail qui a mis au chômage l’infortunée Myriam El Khomri obscurcisse l’horizon syndical. Car on imaginait déjà, non sans jubilation, les entretiens d’embauche plus détendus :
– Alors, mon garçon, vous ne connaissez vraiment rien à rien ? – Je sors des jupes de ma mère, trop vertueuses pour que je m’y sois fait des relations. – Quelles références avez-vous ? – Aucune. – Qu’est-ce qui vous attire dans l’entreprise ?
– Les congés et les Ticket Restaurant. – Topez là, vous êtes celui que je cherchais ! En fait, la suprématie de la non-qualification professionnelle s’est développée à partir de 2009. Cette année-là, les premiers véhicules de tourisme avec chauffeur ont commencé à faire la nique aux taxis. Plus besoin de casser sa tirelire pour acheter une plaque, de souscrire des assurances coûteuses, de faire emplette d’un compteur, de passer une visite médicale et d’apprendre par coeur la topographie d’une grande ville. Une vieille guimbarde, un GPS, un peu de chance, beaucoup de culot et le tour est désormais joué. A moins qu’on ne se contente de louer – toujours de particulier à particulier – son vieux vélo. Avec les chambres d’hôtes et les tables du même bois, l’hôtellerie et la restauration traditionnelles doivent faire face à la même concurrence déloyale. Tout au plus, dans sa légendaire sagesse, le législateur - de moins en moins spécialisé lui aussi - a-t-il prévu que ces amateurs n’accueilleraient pas plus de 15 dormeurs à la fois et qu’ils prendraient leurs repas à côté de leurs clients. Airbnb a raffiné en permettant de céder son lit pour une nuit à des amis de passage qu’on ne connaissait pas et qu’on ne reverra jamais. Dans le même temps pour réduire le trou de la Sécu, les malades étaient officiellement incités à pratiquer l’automédication. Voire, pour les plus prudents, à consulter un pharmacien prescripteur de médicaments pas remboursés davantage. Demain, de petits bricoleurs, pas plus doués que les Bouvard et Pécuchet de Flaubert, vous poseront un pacemaker ou vous opéreront d’une cataracte.
Et c’est ainsi à perte de vue, dans une société dorénavant divisée en trois catégories : ceux qui délivrent les autorisations ; ceux qui ont une autorisation ; ceux qui n’ont pas d’autorisation. Pourchassés sur certaines plages, tolérés dans d’autres, des vendeurs à la sauvette ne s’embarrassent pas plus d’inscription au registre du commerce que le camelot en cravates ne vérifie l’étanchéité de son parapluie. Les petits boulots ont remplacé les grands destins. On en apprend davantage sur le tas que dans les grandes écoles. Internet permet aux petits malins de se glisser dans une tractation immobilière. Les Youtubeurs proposent sans aucune garantie de sérieux des services et des savoirs. A toute heure du jour et de la nuit, on tente de vous faire acheter l’inutile et le superflu. Encore la modestie m’interdit-elle de faire le procès de tous ceux qui publient ou qui parlent. Bien sûr, ces amateurs ont parfois du talent mais est-ce une raison pour prendre la place des professionnels qui n’en ont pas ? Une situation que n’est pas près de normaliser un pouvoir désormais composé lui aussi d’amateurs.
Trois catégories de Français : ceux qui délivrent les autorisations ; ceux qui en ont une ; ceux qui n’en ont pas