Le théâtre de Philippe Tesson
C’est un jeune homme ordinaire. Charmant. Assez joli garçon. Il est seul en scène, il y restera jusqu’à la fin du spectacle, debout sur un espace d’environ un mètre carré pendant un peu plus d’une heure, ce qui est une performance. Il a une prestance, il reste quasiment immobile, mais sa gestuelle est élégante, bien travaillée, très plaisante à regarder. Dès ses premiers mots, on comprend qu’il se sent seul au monde, il est fragile mais vif. Sensible. Il va raconter sa vie, ses problèmes. Il en a un, bizarre, inattendu : un ennui avec son bas-ventre. Ses pantalons, ses slips, ses caleçons, se raccourcissent. Ou plus exactement son fessier se développe anormalement. Au point qu’il a de plus en plus de mal à s’asseoir, à se tenir debout. On connaît assez Pierre Notte pour savoir que son imagination est fertile et qu’il adore les situations incongrues et les métaphores originales. Et l’on reste parce que l’on sait qu’elles ont toujours un sens intéressant, et qu’il va se passer quelque chose qui ressemblera au tragique !
De fait, la vie de ce garçon va vite devenir infernale, le regard des autres sur lui insoutenable à mesure que ses fesses grossiront, sa solitude de plus en plus angoissante. Il ne demandait qu’à passer inaperçu, anonyme : le voilà un objet de curiosité et de railleries. « Le point de mire des répugnances, des sarcasmes, et des terreurs à la fois. » Il est prêt à disparaître, à se supprimer. Va-t-il le faire ? On est dans une réalité de nature kafkaïenne. Voilà pour les faits, qui à eux seuls méritent l’attention du spectateur. Entre en scène le rêve, aussi saugrenu que l’argument, mais infiniment plus poétique, et qui nous entraîne dans une divagation fantastique, dans une épopée intime, comme nous dit l’auteur, dans un récit à la fois monstrueux et tendre, qui nous fait naviguer du pont Alexandre-III jusqu’à l’Océan en passant par Dieppe, et où nous rencontrons entre ciel, terre et mer des objets étranges comme une otarie et un hommetronc. Cela ne se raconte pas, cela s’écoute avec bienveillance, étonnement et sympathie. Le garçon devient peu à peu proche de nous, lui que sa différence avait fait si lointain.
Tout Pierre Notte est dans cet étrange et attachant spectacle : sa fantaisie, sa folie, sa poésie et son enfantine tendresse, son humour et ses angoisses, sa mélancolique délicatesse et ses rêves. Tout, et même son inépuisable et parfois abusif amour des mots et des phrases. Mais peu importe, c’est si agréable à entendre ! Il a trouvé en Brice Hillairet une voix idéale. Ce jeune acteur dit ce texte et vit ce rôle avec une intelligence, un charme, une qualité technique remarquables.
Ma folle otarie, écrit et mis en scène par Pierre Notte. Avec Brice Hillairet. Théâtre contemporain Lucernaire (01.45.44.57.34).
Fantaisie, folie et poésie