En vue : Michel Field
Le comédien est à l’affiche de la pièce dans le cadre du deuxième plus grand festival de théâtre de France : le Mois Molière. Rencontre.
Si Versailles, aujourd’hui, nous était conté, ce serait autant par le théâtre que par le château. Son maire, François de Mazières, a fait en quelques années du Mois Molière, qui se déroule du 1er au 30 juin, le festival de théâtre le plus important de France après Avignon. Que l’on en juge : 350 représentations, 60 lieux investis dans cette ville de rêve, plus de 100 000 spectateurs chaque année avec un maximum d’entrées gratuites. Telle est la volonté d’un homme qui, avant d’être le premier édile local, a été le responsable de la culture. Le résultat est fulgurant. D’autant que Mazières est fidèle aux artistes pour lesquels il a de la considération. Ainsi de Stéphanie Tesson, merveilleuse metteur en scène (et cela se sait moins, excellente comédienne). Après avoir, chaque année, squatté le site enchanteur du Potager du roi avec des spectacles bien à elle, elle propose un Amphitryon qui se jouera sur la scène grandiose de la Grande Ecurie, où Bartabas donne habituellement ses sublimes créations équestres. Un pari magnifique. La scène, profonde, vivante, habitée, parfumée, se déploie en parfaite harmonie avec l’immense salle de bois finalement très intime, très chaude. On ne peut pas y faire n’importe quoi. Mais la pièce de Molière mérite cet écrin. Et la distribution, avec Nicolas Vaude en Sosie, laisse augurer du meilleur.
Voilà un comédien rare, un homme curieux, attentif, généreux, exigeant, amical, bienveillant. Il connaît Stéphanie Tesson depuis des années (ils ont fait ensemble un inoubliable Fantasio de Musset), et ce projet avec elle est pour lui très excitant. Il voulait jouer au départ – un vieux rêve – l’Alceste du Misanthrope, mais quand elle lui a proposé Sosie, il n’a pas pu résister. A priori, une idée de génie. Vaude en Sosie, c’est comme Gérard Philipe en Rodrigue : une évidence. Et on peut faire confiance à Stéphanie Tesson pour transformer cette évidence en réalité.
Vaude fait partie de ces comédiens intelligents qui réfléchissent à leur métier et qui ont une haute idée de ce qu’ils peuvent, par leur art, apporter à la cité. Il dit une phrase magnifique, qu’il emprunte à son personnage : « La faiblesse humaine est d’avoir / Des curiosités d’apprendre / Ce qu’on ne voudrait pas savoir. » Etre surpris par le travail. « Cent fois sur le métier… » S’émerveiller. Combattre la subtile paresse qui ronge comme un cancer. C’est un projet de vie. Pas pour le travail en soi, mais pour le don. Il dit rêver de faire son métier comme un musicien. C’est-à-dire de « pouvoir reprendre chaque phrase, chaque note, explorer à l’infini. Avec les répétitions, ajoute-t-il, on a envie d’arrêter le temps. » Et il a ce bonheur avec Stéphanie, « qui aide à tirer le sens de l’oeuvre pendant des heures et des heures » (et avec Molière, il est infini). Elle a compris, ajoute-t-il encore, « qu’il y a quelque chose de christique dans la pièce, une dimension de sacré, une force, une humanité incroyable ». C’est vrai que Molière touche avec cette oeuvre méconnue au mystère de l’incarnation : Jupiter, qui prend le corps d’Amphitryon, préfigure en païen la venue du Christ. Blasphème, sans doute, que d’oser une telle comparaison, mais il est impossible, quand on connaît la pièce, de ne pas y penser.
Les parents de Nicolas Vaude n’étaient pas du métier, et il n’est pas, comme nombre de ses confrères, un enfant de la balle, mais son grand-père était Jacques Thibaud, le génial violoniste, et sa passion du théâtre lui est venue très jeune grâce à un professeur qui, en quatrième, lui a fait lire Lautréamont. Il a un rapport très fusionnel à Versailles, où il a fait une bonne partie de ses études avant de suivre les cours chez Jean Darnel et de connaître très vite le succès : « 35 pièces en vingt ans », précise-t-il. Et avec des partenaires prestigieux : Jean-Pierre Marielle, Jean-Luc Moreau, Claude Rich, Robert Hirsch, Danièle Lebrun, bientôt Sophie Marceau… « Quelle chance j’ai eue ! reconnaît le tout jeune papa d’une petite fille. Il y a tellement d’acteurs magnifiques dont on ne parle pas. Moi, j’ai envie de rendre ce que l’on m’a donné, de transmettre, de me sentir utile… » Tout lui.