Lecture-Polémique
Environ 2 200, c’est le nombre de morts causés depuis 2001 par les attentats islamistes en Europe. Les 22 personnes, dont beaucoup de jeunes et d’enfants, qui ont perdu la vie dans la terrible attaque de Manchester le lundi 22 mai 2017, sont venues encore alourdir ce tragique bilan. Mais entre deux attentats, la guerre se poursuit sur un autre terrain, celui de la propagande. Le djihad de l’Etat islamique est aussi idéologique et médiatique, rappelle Myriam Benraad dans son dernier essai, L’Etat islamique pris aux mots. Si le mouvement djihadiste prétend revenir aux fondements de l’islam, il utilise paradoxalement les moyens de communication les plus sophistiqués. Par la voix de l’imam Twitter et du cheikh Facebook, mais aussi à travers revues, agence de presse ou encore radios, le mouvement djihadiste propage sa vision du monde. « C’est par son discours que l’Etat islamique a marqué les coeurs et les esprits, qu’il a recruté un public large, notamment plusieurs centaines de Français… », écrit la chercheuse qui entreprend ici de décrypter et déconstruire la rhétorique de Daech pour mieux la combattre. Selon elle, la grande force du discours de l’Etat islamique réside dans sa binarité : l’Orient contre l’Occident, le djihad contre les croisades, les colonisateurs contre les colonisés, le califat contre la démocratie, la tradition contre la modernité, l’oumma contre la nation. L’univers selon Daech se divise en deux camps irréconciliables : les forces du bien face à celles du mal, le camp de l’islam contre celui des mécréants. Une dialectique qui peut paraître simpliste, mais s’avère très efficace dans un monde de plus en plus liquide, où les repères traditionnels sont brouillés.
En éliminant toute nuance, le manichéisme de Daech soude le groupe et déshumanise l’adversaire, explique Benraad. Très documentée, elle exhume des textes de propagande qui font froid dans le dos. Comme l’essai djihadiste Administration de la sauvagerie, l’étape la plus critique par laquelle la communauté des musulmans devra passer, diffusé sur la toile courant 2004 et traduit en français en 2007. Qualifié de « Mein Kampf islamiste », il prodigue avec une précision effroyable une stratégie globale d’établissement d’un Etat islamique par la terreur et le sang. Et prône l’usage d’une violence « positive » extrême pour venir à bout de la « barbarie » de l’Occident. Face à cette utopie mortifère, les réponses sécuritaires ne suffiront pas, prévient Benraad. Il faudra s’attaquer aux causes profondes de l’engagement militant violent, lui opposer un contre-discours, une contre-utopie.
ALEXANDRE DEVECCHIO L’Etat islamique pris aux mots, de Myriam Benraad, Armand Colin, 190 p., 14 €.
La force du discours de l’EI réside dans sa binarité