Le Figaro Magazine

LE VIN, LE DIVIN ET LE MYSTIQUE

La Bourgogne viticole a été, en partie, construite par les moines il y a plus d’un millénaire. Une influence qui se retrouve encore dans chaque pierre des monuments de la Côte-d’Or, de la Côte chalonnais­e ou du Mâconnais, et dont l’influence se fait senti

- Château du Clos de Vougeot.

Qu’elle est belle la Bourgogne, lorsqu’une fois les vendanges terminées, les vignes se parent d’or, de rouge, d’ocre, formant un long tissu de mosaïque mordorée, quirésonne en écho sur les toits vernissés des bâtiments remarquabl­es tels le château de Corton C à Aloxe-Corton, les Hospices de Beaune, ou encore le château de Santenay. La Bourgogne, ce sont aussi ces murets qui délimitent les appellatio­ns, les fameux climats, les meurgers, ces tas de pierres constitués au temps où l’homme défrichant sa parcelle entassait les cailloux retirés de la terre, les clos ou encore ces vieilles bâtisses aux origines parfois millénaire­s. Partout dans la vigne et dans l’architectu­re viticole, l’histoire est présente, souvent empreinte d’influences religieuse­s. Le vin y côtoie ainsi le divin et le mystique.

L’influence monastique dans le paysage viticole bourguigno­n est encore particuliè­rement visible lorsqu’on se promène le long de l’ancienne nationale 74. Le Clos de Bèze, par exemple, grand cru de Gevrey-Chambertin et l’un des plus anciens climats de la côte, appartenai­t aux moines de l’abbaye de SaintPierr­e de Bèze, une abbaye bénédictin­e située à 30 km au nord-est de Dijon. « Un peu plus loin, les origines du Clos de Tart, grand cru de Morey-Saint-Denis, remontent à 1141 lorsqu’il était la propriété de la communauté féminine des Bernardine­s, installée sur la commune de Tart-l’Abbaye », précise Marion Foucher, docteur en archéologi­e, spécialist­e de l’architectu­re viticole au laboratoir­e Artehis, université de Bourgogne.

Mais c’est en parcourant encore quelques kilomètres en direction de Beaune

que l’on rencontre le monument le plus célèbre : le château du Clos de Vougeot. « A la fin du Xe siècle, débute la constructi­on de l’abbaye de Cîteaux, dont l’influence sera déterminan­te pour toute la Bourgogne viticole, explique Gilles Platret, historien et actuel maire de Chalon-surSaône. Vingt ans plus tard, les moines de l’abbaye s’attellent à la constructi­on d’un cellier sur l’actuel site du château de Vougeot. Le Clos tel qu’on le connaît n’existe pas encore. Seules quelques parcelles de vignes appartenai­ent à l’époque à l’abbaye. » « On voit très clairement l’évolution du clos au fil des siècles, précise Marion Foucher. On trouve dans le cellier d’abord deux pressoirs datant du XVe siècle, puis, lorsque les moines agrandisse­nt leur domaine, ils y ajoutent deux autres pressoirs au XVIIe siècle. » Ces quatre éléments sont toujours visibles au château. L’architectu­re des lieux est organisée de manière fonctionne­lle : un bâtiment clos à l’intérieur duquel se situe le lieu de travail, un bâtiment de vie, un espace de cuisine, des puits, un espace de culte et, à l’étage, un dortoir pour les frères convers qui y travaillai­ent. Le château qui domine les lieux est beaucoup plus tardif. « Il symbolise les changement­s politiques intervenan­t au sein de l’ordre et ses dérives, poursuit Marion Foucher. Dans un premier temps, l’abbaye désignait elle-même ses abbés. Puis, à la fin du Moyen Age, ce privilège revient au roi. Les nouveaux abbés ont alors utilisé les domaines pour leur propre usage, tel le château actuel du Clos de Vougeot. »

Semblant faire écho au Clos de Vougeot, on trouve à Givry, à 60 km de là, en Côte chalonnais­e, le domaine du Cellier aux Moines, appartenan­t aujourd’hui à Catherine et Philippe Pascal. « Il s’agit là du cellier de l’abbaye de La Ferté, la première fille de l’abbaye de Cîteaux, qui répond aux mêmes exigences architectu­rales qu’au Clos de Vougeot, explique Gilles Platret. Les éléments les plus anciens encore existants remontent au →

→ XIIIe siècle, voire au XIIe pour le pignon de la vieille cuverie. » Neuf cents ans plus tard, ces bâtiments ont conservé leur vocation viticole. Si on ne fait plus de vin au château du Clos de Vougeot, on y célèbre plusieurs fois par an au cours de chapitres mémorables le dieu Bacchus. La confrérie des chevaliers du Tastevin, créée en 1934, y organise, en effet, de formidable­s banquets au cours desquels plus de 600 personnes vibrent en l’honneur des grands vins de Bourgogne. Le domaine du Cellier aux Moines n’a, en revanche, pas perdu sa vocation première et continue à être un lieu de production, même si les installati­ons d’origine ne sont, bien entendu, plus adaptées à la vinificati­on moderne. Lorsque Catherine et Philippe Pascal lancent la constructi­on d’une nouvelle cuverie, ils cherchent à l’inscrire dans l’histoire des lieux. « Nous voulions que le bâtiment s’intègre dans l’espace et dans le temps, qu’il soit fidèle à l’héritage cistercien. » Ils vont alors, avec leur architecte Gilles Gauvain, qui avait déjà oeuvré à la réhabilita­tion du domaine historique, visiter de nombreuses abbayes pour trouver une source d’inspiratio­n. « Les Pierres sauvages, le roman de Fernand Pouillon qui narre l’histoire du moine cistercien Guillaume Balz, chargé par son ordre de reprendre et de terminer la constructi­on de l’abbaye du Thoronet, est devenu mon livre de chevet », se rappelle Philippe Pascal. Initialeme­nt, la cuverie ne devait être qu’un simple bâtiment tout en longueur, utilisant le principe de la gravité pour la confection des vins. Mais rapidement, le projet prend une autre dimension. « D’abord, les équipes techniques voulaient un labo d’analyse, que j’ai commencé à placer sur le côté droit du bâtiment, explique Gilles Gauvain. Mais la révélation est intervenue avec Philippe Pascal devant le lac de Tibériade : en construisa­nt sur le côté gauche du bâtiment le pendant du labo d’analyse, nous obtenions une croix chrétienne parfaite. » C’est ainsi qu’est né du dessin de l’architecte une cuverie fonctionne­lle, contempora­ine et fidèle à l’architectu­re cistercien­ne, en forme de chapelle. « Nous avons utilisé pour les fenêtres l’arc brisé cistercien qui se trouve sur la porte de la vieille cuverie d’origine », poursuit Gilles Gauvain, histoire de parfaire la filiation avec le domaine historique.

D’autres domaines ont aussi souhaité intégrer dans le cahier des charges

de leurs chais des éléments « mystiques ». Tel est le cas, par exemple, de Pierre de Benoist, gérant du domaine de Villaine à Bouzeron. « Pierre souhaitait doubler les capacités de sa cave, dans laquelle il était trop à l’étroit. Non seulement, il voulait une cave voûtée, mais il tenait surtout à ce que les proportion­s de la cave respectent le nombre d’or », explique Laure du Gardin, l’architecte des lieux qui se trouve confrontée pour la première fois à une telle exigence. « Cette demande est liée aux principes de la biodynamie, qu’utilise Pierre de Benoist au domaine. Il est vrai que l’utilisatio­n de ce nombre d’or est réputée offrir des proportion­s idéales à un bâtiment. Si l’homme s’y sent bien, ce devrait aussi être le cas du vin, vous ne croyez pas ? Et il est vrai qu’une fois la cave terminée, j’y ai ressenti un sentiment de plénitude. » Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Laure du Gardin doit se plier à des demandes surprenant­es de ses clients « Lorsque j’avais travaillé à l’aménagemen­t intérieur du nouveau chai du domaine du Cellier aux Moines, Philippe Pascal m’avait fixé comme ligne de conduite : “Mets-toi dans la tête que je suis un moine, et que nous sommes au XIIe siècle !” » C’est sans doute grâce à ce respect du mystère et du mystique que depuis tant de siècles, les vignerons bourguigno­ns transcende­nt leur terroir et produisent, avec un coup de pouce du ciel, de si divins nectars.

■ FRÉDÉRIC DURAND-BAZIN

L’ESPRIT CISTERCIEN A INFLUENCÉ LES RÉALISATIO­NS LES PLUS RÉCENTES

 ??  ?? La cour intérieure des Hospices de Beaune.
La cour intérieure des Hospices de Beaune.
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 ??  ?? La cuverie du Cellier aux Moines.
La cuverie du Cellier aux Moines.
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