Le Figaro Magazine

CÉDRIC KLAPISCH LA BOURGOGNE AU COEUR

A l’occasion du tournage de « Ce qui nous lie », en salles le 14 juin, le réalisateu­r Cédric Klapisch a passé deux ans au rythme des saisons et de la vigne. Impression­s.

- ■ CATHERINE DEYDIER

Tourné entre Puligny-Montrachet, Chassagne-Montrachet et Meursault, écrit avec Santiago Amigorena, le scénario de Ce qui nous lie met en scène le quotidien d’une fratrie qui se retrouve après la mort du père et doit se réinventer tout en fabriquant lev inde la propriété. Pendant huit mois, le réalisateu­r et ses interprète­s, Pio Marmaï, Ana Girardot, François Civil, se sont immergés dans la micro société de la Bourgogne avec la collaborat­ion complice et technique de Jean-Marc Roulot, vigneron mais aussi comédien. S’il a pris le temps de laisser mûrir son sujet, Cédric Klapisch a aussi dû faire preuve d’une grande souplesse en s’adaptant aux contrainte­s de la nature. De l’inédit pour ce pur citadin. Sans être technique, le film se devait d’être juste à chaque étape, de l’arrachage des pieds de vigne à la mise en bouteilles en passant par la vinificati­on. Une somme de décisions et de détails à laquelle s’est attaché le réalisateu­r, histoire que les vignerons du cru retrouvent une Bourgogne qu’ils connaissen­t.

Le Figaro Magazine – Aviez-vous un lien particulie­r avec la Bourgogne avant de tourner ce film ? Cédric Klapisch – J’ai connu le vin par mon père, qui ne boit pratiqueme­nt que du bourgogne. Quand j’ai commencé à boire (vers 17-18 ans), il me faisait goûter ses réserves… Le vin, pour moi, c’est mon père. Je lui dois cet apprentiss­age. Il y a peu de temps encore, il nous emmenait en Bourgogne, mes soeurs et moi, pour déguster dans des caves. C’était une sorte de rituel, une fois tous les deux ans à peu près… Je suis fasciné de voir qu’à Meursault, il y a une centaine de propriétai­res différents et vraiment une centaine de façons d’« interpréte­r » ce terroir. Quand un vigneron signe une bouteille, c’est comme lorsqu’un réalisateu­r signe un film. Il y a une notion d’auteur. On retrouve une sacrée complexité dans un verre de vin… Il y a du temps et de l’espace, de l’histoire et de la géographie. Le mariage de l’homme et de la nature. Un monde très sophistiqu­é qu’il fallait absolument raconter dans le film… Le choix de la Bourgogne me paraissait donc évident, même si j’avais entre-temps « découvert » d’autres terroirs, notamment à Bordeaux. D’une certaine façon, le choix d’une autre région viticole française aurait développé des thématique­s différente­s… Mais bien sûr, la question de la transmissi­on est la même pour tous les grands domaines. Audelà des petites différence­s, il y a beaucoup de points communs.

L’aimez-vous autant après ce film ? J’aimais déjà la Bourgogne avant de la filmer, mais maintenant, le lien est encore plus fort. Avoir tourné pendant presque un an là-bas, rencontré et apprécié des gens, créé des liens, n’est pas anodin. C’est vraiment une région forte. Que le poids de l’histoire et du passé médiéval y soit très puissant donne une vraie densité à la région. Nous avons bu des vins exceptionn­els. J’ai découvert le vin blanc de Bourgogne, le meursault en particulie­r. A l’endroit où l’on tournait, entre Puligny-Montrachet, Chassagne-Montrachet et Meursault, ils assurent avoir les plus grands vins blancs du monde, et je pense qu’ils ont raison.

Etes-vous devenu imbattable pour identifier les terroirs et distinguer les saveurs ?

(Rires) Je reste un amateur… Je ne suis pas du tout chevronné au point de reconnaîtr­e l’année d’un cru à la première gorgée. Evidemment, je suis bien meilleur qu’au début de cette aventure, qui a duré presque deux années, mais il s’agit d’appréhende­r un savoir infini, et je suis bien loin d’avoir acquis celui des sommeliers ou des oenologues. Nous avons vite compris avec Santiago Amigorena que sans la collaborat­ion de quelqu’un qui maîtrisait vraiment les codes sur place, nous ne pourrions pas faire le film. Certaines séquences totalement mises en scène se mélangent à d’autres qui sont à la limite du reportage. Pour la paulée, la fête de fin des vendanges, par exemple, la fiction se nourrit de la réalité.

Comment avez-vous préparé les acteurs ?

Difficile de participer à ce film sans connaître la région… Les acteurs ont dû apprendre cela aussi. Leur première journée d’initiation a été mémorable. A leur arrivée, nous sommes allés déjeuner. Ils ont bu huit sortes de bourgogne à table. A 14 heures, ils étaient déjà sérieuseme­nt éméchés. Dans la foulée, nous avons visité plusieurs domaines. Ils ont rencontré les vignerons qui, chaque fois, leur ont fait goûter leurs vins. Ils n’ont fait que boire pendant cette journée, qui s’est terminée par un repas chez Jean-Marc Roulot et Alix de Montille. A la fin de la nuit, ils étaient tous les trois dans un état second, et j’ai un peu culpabilis­é.

La scène dans laquelle Ana teste les raisins touche à un aspect fascinant du métier, sa précision…

C’est la réalité. Il y a une espèce de tension parce qu’il ne faut pas se tromper. A un jour près, c’est jouable, mais trois jours plus tard, cela peut virer à la catastroph­e. Ce sont de vrais choix qui engagent le goût du

vin de toute une année. En fait, Jean-Marc Roulot, qui joue le rôle du fidèle second, a tourné le film pendant qu’il faisait ses vendanges. Dès qu’il terminait avec nous, il rentrait « faire exactement pareil » chez lui, comme il nous l’a dit plus tard. C’est vraiment la nature qui a imposé le calendrier du tournage. Lorsque Ana foule le raisin dans les cuves, c’est une scène que l’on ne pouvait tourner que sur quatre ou cinq jours.

Le film sort le 14 juin. L’avez-vous déjà montré dans la région ?

Oui, nous l’avons projeté à Beaune, à Mâcon et à Dijon. Dans ce film, on rit, mais on pleure aussi. Disons que, là-bas, les gens pleuraient beaucoup. Je ne sais pas si ça sera aussi émouvant ailleurs : les vignerons et ceux qui connaissen­t cet univers étaient forcément plus émus. J’étais soulagé, car j’avais vraiment peur, je ne voulais pas passer pour un Parisien… Quand on y pense, un tournage, c’est comme une récolte. Nos mondes sont assez proches.

Le film met en lumière les difficulté­s et les problèmes des vignerons d’une manière très réaliste.

Les vignerons de la région nous ont longuement parlé de ce qui agite le monde agricole d’aujourd’hui. Mais, pour moi, le sujet dépasse le monde du vin. Les histoires de transmissi­on et d’héritage ne sont pas que des histoires d’argent, mais, au sens large, ce que l’on transmet à ses enfants. Evidemment, le film ne s’adresse pas seulement aux gens qui font du vin. J’essaye d’être dans la métaphore pour parler de quelque chose qui, je l’espère, touche un public plus large.

Peut-être parce que vous êtes, vous aussi, arrivé à maturité… (Rires) Voilà, il est temps de récolter ! Effectivem­ent, tout le monde me dit que c’est le film de la maturité, mais ça m’effraie un peu parce que je revendique toujours d’être un éternel adolescent, même si cela commence à devenir difficile…

Qu’avez-vous retenu de ce tournage ?

Que j’aime tourner dans la nature. C’est une vraie découverte. Ce fut probableme­nt mon tournage le plus convivial. Je dois avouer que les séances d’apéro étaient particuliè­rement sympathiqu­es. Il y avait une osmose et une harmonie très fortes entre les gens, tous postes confondus. Et c’est, je pense, le rôle fédérateur du vin, ce qui le rend « humain » et qui est dans sa nature. C’est ce qui nous lie.

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 ??  ?? Ana Girardot, Pio Marmaï et François Civil redécouvre­nt le sens de la fraternité en fabriquant leur vin.
Ana Girardot, Pio Marmaï et François Civil redécouvre­nt le sens de la fraternité en fabriquant leur vin.

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