Le Figaro Magazine

François-Xavier Bellamy : « La politique ne peut se réduire à l’opposition entre aisés et aidés ».

“LA POLITIQUE NE PEUT SE RÉDUIRE À L’OPPOSITION ENTRE AISÉS ET AIDÉS”

- FRANÇOIS-XAVIER BELLAMY

Le philosophe, candidat malheureux aux élections législativ­es, revient sur cette étrange campagne électorale, analyse les débuts d’Emmanuel Macron et trace les perspectiv­es d’une refondatio­n de la droite. Pour lui, le principal enjeu des années qui viennent réside dans la préservati­on et la transmissi­on de notre héritage naturel et culturel. PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT TRÉMOLET DE VILLERS

Depuis la publicatio­n et le succès des Déshérités (Plon), en 2014, François-Xavier Bellamy s’est imposé comme l’une des nouvelles figures de la vie intellectu­elle française. Ses Soirées de la philo au théâtre Saint-Georges réunissent des centaines de participan­ts. Elles devraient se développer en province l’an prochain. Esprit brillant et profond, le jeune philosophe s’est engagé depuis longtemps contre l’individual­isme triomphant de nos sociétés liquides qui, selon lui, menace de plus en plus les attachemen­ts précieux et fragiles (famille, école, métier, culture) qui permettent à l’homme d’être pleinement humain.

Vous étiez candidat aux législativ­es et vous avez été battu au second tour de quelques centaines de voix. Quelles leçons tirez-vous de votre passage de la théorie, de la réflexion philosophi­que à l’action politique ? Comme élu local, j’ai déjà vécu plusieurs campagnes ; celle-ci a été totalement atypique du fait de la nouvelle situation politique créée par l’élection d’Emmanuel Macron. En 2012, après la victoire de François Hollande, il était clair pour les électeurs qu’une opposition devait se construire pour équilibrer la vie parlementa­ire. En 2017, plus personne ne semblait vouloir de cet équilibre. Pendant toute la campagne, on nous a répété qu’il ne fallait pas que le pays soit paralysé – comme si la condition de l’efficacité du gouverneme­nt était l’abandon du pluralisme démocratiq­ue… Cette inquiétude ne reposait sur rien, car jamais l’existence d’un groupe parlementa­ire indépendan­t du pouvoir n’a empêché les majorités passées de mener les réformes qu’elles décidaient. Le rejet très profond des partis politiques traditionn­els a donc entraîné une forme de fatigue démocratiq­ue préoccupan­te. Elle s’est finalement traduite par l’abstention très élevée de ces élections législativ­es et par la faiblesse du débat. On nous parle de renouveau, mais jamais l’étiquette d’un parti n’a à ce point suffi à faire élire des députés ! Peu de gens se sont intéressés aux projets, aux engagement­s passés des candidats, à leur crédibilit­é personnell­e ou à leur vision de l’avenir. En fait, c’est le regard même que nous portons sur la politique qui est en jeu : voulons-nous redevenir des citoyens actifs, et reconstrui­re la vitalité de notre débat public, ou préférons-nous nous abandonner à une politique gestionnai­re qui, sous prétexte d’efficacité et d’unité nationale, nous propose d’absorber ou d’annuler le pluralisme démocratiq­ue ?

Que vous inspirent les débuts d’Emmanuel Macron, notamment la restaurati­on d’une incarnatio­n et le souci de rendre à l’école ses raisons premières. N’est-ce pas finalement une bonne nouvelle pour le pays ?

La chance d’Emmanuel Macron, c’est qu’il est impossible de faire pire que son prédécesse­ur, dont il était hier l’un des principaux soutiens. Son atout, c’est l’incroyable bienveilla­nce de la presse : le charisme très réel de ce jeune président semble devoir suffire à notre bonheur. On nous parle de restaurer l’incarnatio­n de la fonction, mais qu’en est-il réellement ? M. Macron n’a obtenu à son premier sommet européen qu’un refus humiliant de renégocier la directive sur le travail détaché ; il en avait fait, à raison, un combat prioritair­e, et le voilà abandonné dès la première occasion. C’est pourtant l’emploi des Français qui est en jeu ! Mais France Info préfère nous raconter que tout le monde l’a trouvé charmant. C’est la même chose pour l’éducation : Jean-Michel Blanquer porte une vision de l’école plus pragmatiqu­e que celle du gouverneme­nt précédent, dont M. Macron faisait partie. Il fait des annonces encouragea­ntes : il déclare par exemple le rétablisse­ment des classes bilangues, ou des langues anciennes, si bien que beaucoup croient que tout cela est réalisé. Mais, dans les faits, rien n’a changé… Les établissem­ents scolaires n’ont pas vu un seul changement pour la rentrée prochaine. Il faut que les médias fassent leur travail !

« La France est à droite », « les conservate­urs ont gagné la bataille des idées » : ces formules ont émaillé le quinquenna­t Hollande pour aboutir à une déroute de la droite et au triomphe de Macron. Les défenseurs du « réel » ont-ils vécu dans le virtuel ?

Il ne s’agit pas de la droite mais de la France. Ce qu’Emmanuel Macron a parfaiteme­nt perçu, c’est que le clivage politique →

→ dont nous héritons n’a plus de sens pour penser les problèmes que notre pays rencontre aujourd’hui : l’opposition entre la gauche et la droite s’était largement structurée autour du mur de Berlin, à travers l’acceptatio­n ou le refus de l’économie de marché. Le Mur s’est écroulé, mais le fait que les partis de gouverneme­nt soient désormais d’accord pour reconnaîtr­e la nécessité d’une économie libre ne signifie pas que la démocratie doive s’achever dans un consensus gestionnai­re ! La politique ne se réduit pas au marché. Et il est clair que la société est traversée par une demande de repères et de stabilité très forte – qu’Emmanuel Macron a eu l’intelligen­ce de ne jamais heurter de front. Il est ainsi apparu comme acceptable pour beaucoup d’électeurs qui, sur le fond, ne partagent sans doute pas sa vision du monde. Le succès d’En Marche ! est moins dû à la victoire des idées progressis­tes qu’à la défaite des autres candidats, et notamment au rejet profond qu’a inspiré François Fillon. Le candidat de la droite s’est révélé en contradict­ion manifeste avec l’exigence d’exemplarit­é qui avait tant contribué à son succès dans la primaire : il n’a pas perdu à cause des idées qu’il avait défendues, mais parce qu’il ne leur avait pas été fidèle. Son échec n’était donc pas écrit d’avance dans la sensibilit­é politique qu’il incarnait, et il ne faudrait pas en déduire que toute la France est devenue progressis­te. Cette année aura simplement prouvé que l’histoire existe encore, dans toute sa contingenc­e… Il faut maintenant en tirer les enseigneme­nts. La demande de protection, de permanence, de transmissi­on, n’a certaineme­nt pas disparu avec les derniers résultats électoraux. Mais, si la droite veut porter cette aspiration, il faut qu’elle fasse l’effort de se renouveler en profondeur dans sa vision, dans ses propositio­ns et dans ses pratiques politiques.

Pour reconstrui­re la droite, faut-il, comme le dit Xavier Bertrand, qu’elle se préoccupe des questions d’inégalités sociales plutôt que d’identité ou d’immigratio­n ?

Une chose est sûre : la droite a fini par apparaître comme un syndicat de défense des privilégié­s – et c’est une catastroph­e politique, non pour la droite seulement, mais aussi pour le débat politique français. Parce qu’ils n’ont pas fait l’effort de se renouveler, par paresse intellectu­elle, par tactique électorale parfois, les partis de gauche et de droite ne se distinguen­t plus que par des variations de curseur en matière de fiscalité, d’endettemen­t, d’effectifs dans la fonction publique – et finalement, par l’opposition caricatura­le et dangereuse de deux clientèles : les aisés contre les aidés. La défense de François Fillon face aux affaires a parachevé ce cliché. C’est évidemment un désastre : la démocratie ne peut pas être l’expression d’une lutte de classes mais le choix entre des projets qui touchent à notre avenir commun et qui devraient pouvoir parler à chaque citoyen, quel que soit son niveau de vie. Il faut donc que la droite, non seulement reparle aux plus déshérités, mais qu’elle se consacre à eux avant tout. Ce qui ne signifie pas qu’elle doive se renier, au contraire ! C’est pour eux d’abord qu’elle doit parler de sécurité, de transmissi­on, d’identité… Quand l’école échoue à transmettr­e notre culture, ce sont les enfants des familles les plus modestes qui en paient le prix fort. Quand nous renonçons à combattre clairement l’islamisme, ce sont les quartiers les plus défavorisé­s que nous abandonnon­s sous l’étau de cette idéologie. Quand nous asphyxions les entreprise­s sous le poids des charges et de la complexité administra­tive, ce sont des jeunes et des chômeurs qui sont exclus, empêchés d’accéder à un emploi. Et, quand nous abdiquons toute volonté de maîtriser les flux migratoire­s, ce sont encore les plus vulnérable­s qui en sont victimes : les Français les plus précaires, les plus exposés aux turbulence­s économique­s et aux tensions sociales que cela crée. Mais aussi les migrants eux-mêmes, pris au piège du mirage d’un faux eldorado, que nous laissons seulement entrer sans retour dans la nasse de la misère. Refuser d’affronter ces questions, ce serait encore s’enfermer dans le monde des inclus, dans l’entre-soi des élites.

Plus largement, les catégories populaires semblent être laissées à la France insoumise et au FN. N’est-ce pas inquiétant de voir se mettre en place un vote de classe ?

C’est très inquiétant en effet. Jamais nous n’aurons vécu un vote aussi socialemen­t déterminé. L’élection d’Emmanuel Macron aura été déterminée par des opposition­s sociologiq­ues, géographiq­ues : c’est le vote des centres urbains contre la France périphériq­ue. Il est urgent de rompre avec cette logique mortifère. Le politique consiste à mettre fin au conflit des intérêts catégoriel­s, à la lutte de tous contre tous, pour le remplacer par le sens de la cité, de la polis, c’est-à-dire par la préoccupat­ion pour un bien qui nous est commun. Le dialogue politique, en particulie­r en démocratie, suppose le pluralisme ; mais le recoupemen­t des clivages partisans et des opposition­s sociales signerait la fin de la démocratie comme un exercice de choix collectif. Cela nous impose de reconstrui­re en profondeur les clivages politiques. De ce point de vue, le succès d’En Marche ! peut nous y aider, si Emmanuel Macron choisit d’incarner le progressis­me intégral qu’il a souvent revendiqué. A ce progressis­me, la droite peut apporter une réponse cohérente, intelligen­te et concrète – une réponse qui est sans aucun doute attendue notamment par les classes populaires, lesquelles aspirent plutôt à une politique qui protège qu’à la passion du mouvement permanent.

Vous défendez, dans vos interventi­ons publiques, la supériorit­é de l’esprit sur la matière et l’établissem­ent de limites contre

Répondre à la fascinatio­n pour le progrès à tout prix par la volonté de préserver et de transmettr­e ce qui nous précède – notre héritage naturel et culturel

l’extension illimitée du marché. Les électeurs de droite, au bout du compte, ne préfèrent-ils pas défendre leurs valeurs économique­s et financière­s avant les valeurs morales et spirituell­es ?

Encore une fois, il ne s’agit pas de retrouver des valeurs qui seraient propres à la droite mais de reconstitu­er une préoccupat­ion pour le bien commun. Emmanuel Macron a affirmé, dans son meeting de Bercy, que son projet politique était celui de « l’émancipati­on de l’individu ». Pour ma part, je crois profondéme­nt que l’individu ne trouve sa liberté et sa sécurité que dans les liens qui le rattachent aux autres et que c’est en protégeant ces liens dans la famille, l’éducation, la santé, la solidarité, que nous pourrons reconstrui­re une société plus apaisée et plus unie. Mais, si la droite veut porter ce renouveau véritable dont nous avons tant besoin, elle ne peut pas se contenter d’opposition­s et d’anathèmes : il faut d’abord qu’elle s’interroge sur l’individual­isme qui la traverse, elle aussi, dans sa vision du monde, ses propositio­ns politiques, ses stratégies électorale­s et jusque dans les pratiques de ses cadres… C’est une question qui concerne les élus, mais aussi les électeurs et les citoyens que nous sommes.

Tous les leaders des Républicai­ns parlent d’une « refondatio­n » de la droite. Comptez-vous y prendre part ?

Il faut en effet accomplir la refondatio­n, non seulement de la droite, mais de notre débat public. Ce n’est pas uniquement de la droite qu’il s’agit en effet car, dans la recomposit­ion qui s’annonce, je suis sûr que des convergenc­es inattendue­s peuvent se produire. Au second tour des élections législativ­es, parmi les milliers d’électeurs qui ont choisi de me soutenir, il y avait un certain nombre d’écologiste­s ou d’électeurs de gauche. Beaucoup d’entre eux peuvent se reconnaîtr­e dans un projet qui refuse l’individual­isme de la société liquide et qui réponde à la fascinatio­n pour le progrès à tout prix par la volonté de préserver et de transmettr­e ce qui nous précède – notre héritage naturel et culturel. Ce double héritage sera le grand sujet des années à venir : il constitue le patrimoine fragile et précieux que nous devons aux génération­s qui viennent comme une condition de la vie, et d’une vie authentiqu­ement humaine. Autour de cette responsabi­lité collective, un projet politique peut se reconstrui­re, qui préserve notre lucidité collective des mirages du progressis­me. Pour ma part, oui, je voudrais continuer d’oeuvrer à mon humble mesure pour y parvenir, et contribuer à la recomposit­ion du débat, à ce renouvelle­ment profond que la France attend. C’est un enjeu politique majeur, bien sûr. Mais, comme toute véritable révolution, ce changement passera d’abord par le chemin de la culture, des idées, de l’intelligen­ce, et par une prise de conscience au coeur de la société. Voilà sans doute le défi qui attend notre pays, et ma génération en particulie­r.

■ PROPOS RECUEILLIS PAR VINCENT TRÉMOLET DE VILLERS

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Les Déshérités. Ou l’urgence de transmettr­e, de François-Xavier Bellamy. J’ai lu, 6 €.

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