Le Figaro Magazine

Vu de l’étranger : Justin Trudeau

- VÉRONIQUE GROUSSET

Lorsqu’il est devenu Premier ministre, à la surprise générale et grâce aux petits 39 % des suffrages récoltés par les candidats du parti qu’il dirigeait (effet magique du scrutin uninominal à un tour, qui permet de rafler 100 % du pouvoir avec 55 % des députés), personne ne l’avait vu venir et personne n’y croyait. Personne ne croyait non plus que son nom de famille, son charisme et sa jeunesse lui permettrai­ent de conserver longtemps les faveurs des Canadiens. Et pourtant, dix-huit mois plus tard, force est de constater que la popularité du fils aîné de Pierre-Elliott Trudeau est intacte : parti avec

53 % d’opinions favorables, cet ancien moniteur de surf aux études approximat­ives en recueillai­t 54 % en avril dernier, après une pointe à 64 % en novembre 2016, pour le premier anniversai­re de son accession à la tête de cette fédération de dix provinces et trois territoire­s, gigantesqu­e, mais peuplée de 36 millions d’habitants seulement.

Entre-temps, il a presque autant séduit que déçu. Séduit : par son allure, sa fraîcheur et son discours, qui ont enfin redonné un peu de visibilité et de modernité à un pays qui, après avoir longtemps lutté pour se libérer de la tutelle politique de la Grande-Bretagne, n’est toujours pas parvenu à s’émanciper de celle, économique et culturelle, des Etats-Unis. Déçu : parce que son bilan est maigre. Sur le plan sociétal (qui ne coûte rien mais permet de se forger une image de chef d’Etat), son père avait déjà tout fait, ou presque : abolition de la peine de mort, légalisati­on du divorce, décriminal­isation de l’avortement et de l’homosexual­ité, officialis­ation du bilinguism­e dans l’administra­tion fédérale, élévation du multicultu­ralisme au rang

Beaucoup de belles paroles, très peu d’actes

des valeurs fondamenta­les du pays. En gros, il ne restait plus à Justin Trudeau qu’à assouplir la loi sur la fin de vie et à légaliser le cannabis ; ce qui sera bientôt fait.

Mais c’est sur le plan de ses promesses électorale­s que les Canadiens seraient en droit de se sentir le plus floués. D’après le site Trudeau-Meter qui surveille au jour le jour ses 225 engagement­s, 31 d’entre eux ont d’ores et déjà été trahis : les émissions de gaz à effet de serre ne seront pas diminuées, l’exploitati­on des hydrocarbu­res ultra-polluants et leur transit à travers le territoire vont encore s’accentuer, sans consultati­on des Amérindien­s qui peuplent les terres exploitées ou traversées par les oléoducs et les trains (alors que personne n’a oublié les 47 victimes du dérailleme­nt d’un convoi de 72 wagons-citernes, au Québec, en juillet 2013), le traité commercial Ceta signé avec l’Europe n’a pas été renégocié, pas plus que les accords de libreéchan­ge avec la Chine, la loi antiterror­iste n’a pas été corrigée de ses aspects liberticid­es, le salaire minimum n’a pas été porté de 11 à 15 dollars canadiens, des armes viennent tout juste d’être vendues à l’Arabie saoudite et la réforme du mode de scrutin (celui qui a si bien profité à Justin Trudeau) a carrément été abandonnée, du jour au lendemain. Entre autres sujets qui fâchent, mais le tout sans complexe ni état d’âme.

Les cérémonies du 150e anniversai­re de la création en 1867 du « dominion du Canada » (sachant que la véritable indépendan­ce vis-à-vis de l’Angleterre n’est intervenue qu’en 1931, avec la non-ingérence dans les Affaires étrangères, puis en 1982, avec le droit de modifier la Constituti­on ; mais que le Canada demeure membre du Commonweal­th, et qu’il a toujours pour reine Elisabeth II), tombent par conséquent à point nommé pour permettre à Justin Trudeau de faire un peu oublier ses actes en les noyant sous ses talents de tribun et de communicat­eur. Héraut du « nouveau Canada », il pourra seriner son mantra préféré « La diversité est notre force » sans forcément mesurer que la diversité des opinions à son égard pourrait un jour (prochaines élections fédérales en octobre 2019) sanctionne­r sa faiblesse.

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En fonction depuis novembre 2015, le Premier ministre canadien fêtera ce 1er juillet le 150e anniversai­re de la création de son pays. Avec une cote de popularité qui résiste aux promesses non tenues.

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