Expo : luxe, calme et romanité
Le Musée départemental Arles antique expose des dizaines d’objets de luxe restaurés qui témoignent du goût des Romains pour le faste.
Bienvenue chez Lucullus ! Déployant une exceptionnelle vaisselle d’argent, le musée d’archéologie d’Arles évoque le faste des banquets romains. Ces pièces magnifiques, nous aurions pu ne jamais les voir… Remontons à 1830, à Berthouville, doux village de l’Eure : un cultivateur laboure sans faillir le champ qu’il vient d’acquérir lorsqu’il heurte une tuile romaine. Zut ! Il creuse et voilà qu’il exhume des bols, des plats, des coupes à boire, des aiguières, des statuettes en métal richement décoré. Le front trempé de sueur, il compte : il y a là une centaine de pièces. Bigre ! Superstitieux, le fermier n’ose pas toucher les objets de ses mains, il les pousse dans un sac à l’aide de sa pioche, causant d’irrémédiables dommages… La découverte agite la société des antiquaires de Normandie, association savante qui aussitôt publie une série d’articles pour l’annoncer dans le Journal de Rouen. Les archéologues de la capitale accourent ventre à terre. Le fermier normand, patriote, ne veut vendre sa trouvaille qu’à un établissement public français. Un représentant du musée du Louvre est sur les rangs, un conservateur du cabinet des Médailles, Monnaies et Antiques, aussi. Bataille. Ce dernier n’hésite pas à demander une avance à un marchand parisien et prend de vitesse son concurrent. Affaire conclue (15 000 francs).
Les scientifiques se penchent avec délice sur le trésor qu’ils situent entre le Ier et le IIIe siècle. L’iconographie s’avère des plus remarquables. L’argent repoussé, travaillé en relief, évoque des épisodes de la guerre de Troie, des récits de la mythologie grécoromaine, des amours, des centaures, des masques bachiques. Mieux encore, les pièces les plus élaborées portent des inscriptions éloquentes ; elles sont dédicacées par un certain Quintus Domitius Tutus à Mercure Canetonensis, dieu du commerce. S’ils profitaient des plaisirs d’ici-bas, les Romains fortunés
offraient des objets d’art à des temples pour s’attirer les bonnes grâces divines. Sur les lieux de la découverte, on trouvera les vestiges d’un sanctuaire romain et gallo-romain. Presque deux siècles ont passé. Le trésor de Berthouville, exposé dans le cabinet des Monnaies, Médailles et Antiques de la Bibliothèque nationale de France, s’est altéré, oxydé. Il est temps de lui refaire une beauté. « Restaurer rien que deux pièces aurait englouti mon budget annuel », regrette Mathilde Avisseau-Broustet, conservatrice passionnée. Le J. Paul Getty museum de Los Angeles va prendre en charge l’étude, l’analyse, la restauration de l’ensemble. Mécénat américain. Quatre ans plus tard, le trésor de Berthouville a retrouvé sa splendeur. Il est, alors, présenté dans différents musées des Etats-Unis à travers une exposition traitant du « Luxe dans l’Antiquité ». Pour illustrer le thème, la BNF ajoute d’autres merveilles : monnaies, lingots, bracelets, colliers, bagues serties d’émeraudes ou d’améthystes gravées en intaille, camées, coupes et gobelets en pierres dures, flacons à parfum… Le plus spectaculaire ? La patère de Rennes, un plat en or massif de 23 carats au diamètre monumental, ornementé avec profusion. L’un des rares exemples de vaisselle d’or romaine ayant échappé à la fonte ! Les opulents propriétaires l’exhibaient sur des crédences au cours des repas pour montrer leur richesse, leur statut social, leur pouvoir. Des lois furent éditées pour freiner une telle ostentation, rien n’y fit. Exhiber ses collections dans la salle à manger alimentait les conversations. « Elles permettaient à l’hôte et ses convives d’étaler leur érudition, rappelle Mathilde Avisseau-Broustet. L’élite romaine rêvait d’égaler le raffinement des princes hellènes. » Après Los Angeles, San Francisco, Kansas City et Houston, l’exposition arrive enfin à Arles pour six mois, seule étape française de la tournée. Pourquoi Arles ? Parce que la ville au sud de la Gaule fut colonisée du temps de Jules César. Parce que son musée départemental possède des pièces d’archéologie importantes. Et surtout parce qu’on vient d’y révéler, après des années de fouilles sur le site de la Verrerie, des fragments de peintures murales dignes de Pompéi. Ces fresques, jusque-là inédites, attestent la présence d’une luxueuse villa aristocratique dans le quartier de Trinquetaille. Là où s’établissaient les nouveaux riches et que les archéologues appellent, désormais, le « Beverly Hills arlésien ».
LAURENCE MOUILLEFARINE « Le Luxe dans l’Antiquité. Trésors de la Bibliothèque nationale de France », Musée départemental Arles antique, du 1er juillet au 21 janvier 2018 (www.arlesantique.cg13.fr).