Le théâtre de Philippe Tesson
Le ressort comique de L’Hôtel du LibreEchange est simple et il fut utilisé par maints auteurs à l’époque de Feydeau et par Feydeau luimême : faire se rencontrer dans un même lieu des personnages qui se connaissent, notamment maris et femmes, et qui ne devraient surtout pas s’y rencontrer. L’auteur pousse ici très loin le système en mettant en scène sept personnages. Il faut un sacré talent d’imagination et de construction pour rendre vraisemblable cette invraisemblance, donner les apparences de la logique à l’absurde et, de surcroît, gérer ce hasard avec un sens comique irrésistible. C’est cela, le génie de Feydeau. Le célèbre critique Sarcey écrivait qu’au soir de la création de ce vaudeville, en 1894, le délire de la salle était tel qu’on n’entendait plus le texte et que la pièce s’était achevée en pantomime. C’est à peu près ce à quoi on a assisté l’autre soir à la Comédie-Française. Une fois de plus, on a eu l’occasion d’admirer non seulement l’extraordinaire mécanique mentale de Feydeau, l’époustouflante vivacité de ses dialogues à quelques lourdeurs près, la drôlerie de ses mots d’auteur à quelques facilités près, et surtout la férocité de ses portraits. Cette comédie est l’une de celles où ils sont les plus réussis et les plus cocasses. Il les a gâtés, les acteurs. Il leur a offert des rôles en or. Encore faut-il qu’ils en soient dignes, qu’ils sachent les pousser à leur extrême, jusqu’au sommet de leur talent et jusqu’à la caricature intelligente. Ils sont admirablement servis ici. Le casting réalisé par Isabelle Nanty est formidable. Elle les dirige superbement. Un vrai travail de troupe. Certains émergent bien sûr dans les rôles les plus forts, et ils feront référence. Citons Anne Kessler, qui est ahurissante. Elle se permet des audaces inouïes. Michel Vuillermoz est merveilleux de finesse. Christian Hecq, n’en parlons pas. Il apparaît, et c’est une folie. Il devient bègue dès que survient un orage, et c’est un délire. Les jeunes Pauline Clément et Julien Frison sont bien prometteurs. Etc. Isabelle Nanty n’a pas cherché à forcer le trait de cruauté de la pièce. Elle voit dans celle-ci un reste d’enfance, une candeur, une délicatesse, une poésie même. Bigre ! Soit ! Pourquoi pas ? Elle adoucit la tonalité générale au profit du comique. C’est un peu moins méchant que cela pourrait être, et c’est vraiment drôle. Mais quand même très vache ! C’est surtout excellent. Les costumes et la scénographie de Christian Lacroix font le reste. L’Hôtel du Libre-Echange, de Georges Feydeau. Mise en scène d’Isabelle Nanty. Avec Anne Kessler, Michel Vuillermoz, Christian Hecq, ou Thierry Hancisse… Comédie-Française Richelieu (01.44.58.15.15).
Des comédiens au sommet de leur talent