LA GRANDE RÉCUPÉRATION
A Paris ou à Calais, ils sont nombreux à se mobiliser pour porter assistance aux migrants. Mais, sur le terrain, des riverains dénoncent l’entrisme d’activistes d’extrême gauche qui, sous prétexte d’assistance humanitaire, visent à déstabiliser le vivre-e
Pas de quartier pour les racistes ! Pas de racistes dans nos quartiers ! Solidarité pour les sans-papiers ! » Le mot d’ordre de cette manifestation organisée le 25 mai dernier au coeur du quartier de La Chapelle était clair : dénoncer la stigmatisation des migrants symbolisée, selon leurs organisateurs, par une pétition dénonçant le harcèlement de rue subi par les femmes et relayée par un article du Parisien daté du 19 mai. Le cortège, réuni place de La Chapelle, entame un petit tour du quartier, pancartes à la main. Quelques migrants intimidés sont mêlés au groupe. Encouragés à prendre la tête de la manifestation, ils sont aussi poussés à donner de la voix dans le mégaphone, répétant maladroitement quelques slogans soufflés à l’oreille. Ulcéré, Alain manque de tomber de son Vélib’tant il peste, à la façon du capitaine Haddock, contre ceux qu’il appelle « ces gauchos d’extrême gauche » plus préoccupés, selon lui, à instrumentaliser la situation des migrants que par la réalité de l’insécurité.
En cette belle journée de printemps,
Fatima, elle, a profité du pont de l’Ascension pour partir en week-end loin de ce quartier où elle vit depuis des années et loin, surtout, du tourbillon médiatique et politique provoqué par la pétition dont elle est à l’origine. « J’ai rédigé ce texte pour dénoncer le harcèlement incessant dont les femmes, ici, sont victimes. Les vendeurs à la sauvette et les dealers créent un climat d’insécurité et se permettent des écarts de langage avec les femmes. Le texte ne stigmatise pas les migrants. Seulement, ces collectifs d’extrême gauche s’emparent de cette pétition pour prétexter une attaque contre les migrants. Ils occultent, au passage, la parole des femmes et des habitants excédés. »
Attablé à la terrasse de son café favori, tout près de la place de La Chapelle, Jean- Luc savoure son café-crème, mais se lamente de l’état des rues. Bouteilles et canettes abandonnées sur le trottoir côtoient papiers gras et détritus en tout genre. Dans le square voisin, l’odeur d’urine est telle que l’endroit, déserté, est devenu un no man’s land ou plutôt un urinoir à ciel ouvert. Au coin d’une rue, des sacs-poubelle éventrés et des tas de déchets →
→ semblent avoir été jetés là délibérément. Tout près, plusieurs groupes d’hommes finissent de manger leur repas à même le bitume. Un spectacle devenu insupportable pour Jean-Luc. Enseignant, ce trentenaire dynamique et souriant se décrit comme un homme de gauche, mais il dénonce les dérives d’activistes d’extrême gauche comme le collectif La Chapelle Debout ! JeanLuc montre du doigt une de leurs affiches collées sur le mur d’un immeuble. « Certaines de ces organisations distribuent des repas pour les migrants. C’est tout à fait louable de venir en aide à ces malheureux. Mais ils laissent volontairement les déchets dans les rues et ne respectent pas l’espace public. Les murs du quartier sont couverts de leurs affiches avec des appels à la confrontation avec la police. Ils utilisent des termes très durs et connotés comme : “les rafles contre les sans-papiers”. Leurs activités créent des tensions dans le quartier, tensions qui n’existaient pas avant. Ils prônent le chaos alors que la majorité des citoyens lambda, comme moi, approuve la solidarité et l’accueil, mais veut aussi plus de police et d’ordre… Tout ce que, précisément, ces activistes exècrent. Notre quartier est devenu leur terrain de jeu. Les migrants sont des jouets avec lesquels ils s’amusent à faire de l’humanitaire pour justifier leur existence, mais aussi pour en venir à la confrontation avec les forces de l’ordre. »
Thomas est un voisin de Jean-Luc. Il le retrouve à la terrasse du café, se joint à la conversation et approuve le témoignage de son ami. Révolté, il dénonce les distributions « sauvages » de nourriture qui, selon lui, répondent au besoin immédiat des migrants mais les entretiennent aussi dans une situation impossible. « Ces activistes d’extrême gauche servent des repas, brandissent des pancartes. Ils ne sont que dans la revendication ou l’invective. Ils ne proposent jamais de solutions à ces pauvres gens pour les sortir de là. Résultat : beaucoup, au bout de quelques mois, deviennent des “clodos” dépendants de la soupe populaire sans aucune autre sortie. Ça, en revanche, ça ne les dérange pas ! »
Pendant ce temps-là, loin de l’agitation de la capitale,
Calais a déjà beaucoup à faire avec ses propres tumultes. Devenue le symbole de la crise migratoire, la ville essaie de redorer son image en multipliant les événements. En ce week-end de juin, près de 1 000 Britanniques étaient invités par la municipalité à venir la découvrir. Et pourtant, il suffit de s’éloigner un peu du centre pour remarquer la tension ambiante. La ville semble en état de siège permanent. La police, les militaires et les gendarmes sont omniprésents et multiplient les contrôles.
“LE QUARTIER EST DEVENU LE TERRAIN DE JEU DES ACTIVISTES”
Barrières et fils de fer barbelés ceinturent les points de passage. Les migrants, disséminés par petits groupes, attendent, quant à eux, en embuscade un peu partout, l’occasion de prendre d’assaut les camions en partance pour l’Angleterre, pour s’y engouffrer…
A quelques encablures, posée sur une zone industrielle,
L’Auberge des Migrants ou la « Warehouse », comme l’appellent les militants, réunit dans un vaste entrepôt de nombreuses associations d’aide aux migrants. Dans ce gigantesque hangar, des tonnes de vêtements, de sacs de couchage et de tentes sont rangées, triées, mises à disposition pour les dons. Dans la partie réservée à la cuisine, des dizaines de bénévoles s’activent dans une ambiance de sound system. La musique électro, entêtante, rythme la cadence et les bénévoles préparent ainsi, chaque jour, près de 500 repas chauds qui seront distribués toute la nuit à certains points de la ville où se retrouvent les migrants. L’Auberge, où les valeurs se veulent d’abord solidaires, est devenue pourtant, selon certains, le QG d’activistes d’extrême gauche et le cauchemar de la maire Natacha Bouchart et de son équipe municipale. « Je comprends la motivation de beaucoup de ces bénévoles, confie Françoise, Calaisienne de naissance et de coeur. Depuis quelque temps, L’Auberge s’est transformée. C’est un repaire d’extrémistes de gauche, tendance anarchiste, venus pour en découdre avec la police, sous prétexte d’aider les migrants. Ils les poussent même à se mettre en danger et déstabilisent l’équilibre déjà bien fragile de notre ville. Ils ont une mauvaise lecture des valeurs de notre pays. Je suis d’accord pour partager et construire ensemble. Mais ça n’est pas leur dessein. Ils veulent cliver la société et les Français. » Françoise revient sur des opérations menées par ces activistes comme la prise d’assaut de la rocade, pilotée par les activistes No Borders, le caillassage des forces de l’ordre ou le squat de nombreuses habitations en centre-ville. « Ils s’octroyaient le droit de fracturer des maisons inoccupées en ville pour installer parfois jusqu’à 50 ou 60 personnes. Leur système était bien rodé, ils fonctionnaient par code en marquant d’une certaine façon les maisons repérées pour ensuite les squatter. Ils sont très organisés, très mobiles et, ne l’oublions pas, aussi très violents. »
Pourtant, les responsables du lieu se défendent d’être des activistes politiques.
Ils se définissent comme des militants pacifistes concernés par le sort de ces sans-papiers et dénoncent les entraves de la police à leurs actions. Sur le terrain, les tournées des associations ne démentent pas cette réalité. Cachés dans des sousbois ou dans des terrains vagues, des milliers d’hommes supportent la faim, le froid ou la chaleur extrême, le manque d’hygiène et les maladies. « C’est vrai, tempère Natacha Bouchart. Il y a, parmi les bénévoles de ces associations, des gens bien intentionnés. » La maire de Calais affirme d’ailleurs avoir entretenu d’excellentes relations avec les associations présentes à L’Auberge des Migrants jusqu’en 2012. « A partir de cette période, le lieu a été investi par des militants d’extrême gauche. Il est alors devenu impossible de dialoguer et de travailler ensemble. Des activistes comme Utopia 56 et les No Borders ne sont arrivés que très récemment. »
L’élue dénonce une attitude systématiquement provocatrice et raconte avec amertume comment, pendant les élections et en particulier lors du deuxième tour de la présidentielle opposant Emmanuel Macron à Marine Le Pen, les distributions se sont faites, selon elle, plus nombreuses et surtout plus visibles. « Les extrêmes se rejoignent. Ils voulaient exaspérer la population pour la pousser à voter pour le Front national, pour ne plus laisser d’espace dans ce pays qu’aux deux extrêmes. Ils instrumentalisent ces pauvres gens. Ils les poussent à être dans la provocation avec les forces de l’ordre. Leur seul intérêt, c’est le chaos. Ils distribuent des repas mais n’orientent pas leurs bénéficiaires vers des structures qui pourraient les aider à trouver des solutions concrètes à leurs problèmes. Bien au contraire, ils ont intérêt à ce que les migrants restent dans leur misère car, sans leur souffrance, ils n’ont plus de légitimité, plus d’exposition médiatique et donc plus de raisons d’exister. » ■