Le Figaro Magazine

Le bloc-notes de Philippe Bouvard

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Al’ombre de Napoléon et de ses maréchaux, le général de Gaulle et ses Compagnons sont logés dans le musée de l’Ordre de la Libération au sein de ces Invalides édifiés sous Louis XIV. Qu’il s’agisse des Cent-Jours en 1815 ou de la Résistance en 1940, c’est – au moins au début – le même exploit que Chateaubri­and décrivit comme « la reconquête d’un pays par un homme seul ». Si Alphonse Allais a pu dire un jour « Plus on ira, moins on rencontrer­a de gens ayant connu Napoléon », personne ne peut se risquer à prédire que les siècles à venir feront oublier l’homme du 18 Juin. Grâce aux pièces historique­s et aux objets familiers, les souvenirs du Général sont devenus un peu les nôtres. Lorsque le Général crée l’ordre de la Libération à Brazzavill­e en novembre 1940, il n’est encore entouré que de quelques dizaines de fidèles qu’à l’origine il souhaitait nommer des croisés mais qui, sur la suggestion de René Cassin, sont devenus les Compagnons. Aujourd’hui, leurs 1 038 portraits sont affichés sur le mur des photograph­ies. Une véritable chevalerie venue de tous les horizons, issue de toutes les classes sociales que le Général honore jusqu’en janvier 1946 où l’Ordre sera déclaré forclos. Une réouvertur­e exceptionn­elle aura toutefois lieu en 1958 pour Winston Churchill et deux ans plus tard pour le roi George VI. Ils rejoignent Eisenhower, André Malraux, Romain Gary et six héroïnes. Le reste de leur existence, ils arboreront fièrement à la boutonnièr­e le ruban où le noir évoque la défaite et le vert l’espérance. Un ordre national sans grade dont de Gaulle, seul grand maître, tint à porter le grand collier sur son premier portrait officiel. Pour ne pas être accusé de népotisme, il décida de ne pas décorer son fils Philippe, pourtant engagé à 17 ans et présent ensuite dans toutes les campagnes, qui l’aurait bien mérité. Dans toutes les pièces du musée dirigé par le général de division Christian Baptiste, on sent la présence gaullienne. L’iconograph­ie évoque d’abord l’allocution prononcée à la radio le 18 juin 1940. J’avais 10 ans et je comprenais mal qu’un Français qui n’était plus en France pouvait s’attaquer aux milliers d’occupants que je voyais déferler à bord de leurs chars. Voisinent l’affiche « A tous les Français » placardée en Angleterre ; le drapeau à croix gammée qui voilait l’Hôtel Meurice, QG du général von Choltitz, commandant du « Gross Paris » ; les étendards alliés installés sur le balcon de l’Hôtel de Ville le 26 août 1944 et la vareuse du maréchal Leclerc. Dans une vitrine, on peut voir l’unique tenue complète (uniforme, manteau long et képi étoilé) qu’Yvonne de Gaulle, soucieuse d’éviter la ruée des marchands du temple, n’avait pas ordonné de brûler après la disparitio­n de son mari. A côté, le drapeau qui recouvrait le cercueil du fondateur de la France libre et les 80 décoration­s étrangères qu’il reçut. Le tapuscrit du discours prononcé par Malraux pour l’entrée au Panthéon de Jean Moulin jouxte les deux tenues du héros de la Résistance : son uniforme chamarré de préfet ainsi que le large chapeau et le costume sombre sous lesquels il rasait les murs lorsqu’il se rendait nuitamment aux réunions au cours desquelles se décidaient les actions contre les troupes d’occupation.

Les médaillés de la Résistance furent plus nombreux (65 295) à voir leur courage reconnu à partir du 9 février 1943. Ainsi, les jeunes génération­s qui viennent chercher dans ce musée un complément à leurs cours d’histoire contempora­ine ont-elles le privilège de feuilleter un chapitre sur le point de se refermer. Et l’occasion de réfléchir au prodigieux destin d’un général de brigade qui ne mit que vingtquatr­e heures à répondre à un maréchal de France faisant don de sa personne aux Français en même temps qu’aux Allemands. Un visionnair­e qui sut imaginer avec quatre années d’avance la libération d’une patrie alors occupée, élu deux fois président de la République, mais ayant toujours refusé d’ajouter des étoiles à celles de son képi. J’admire également que, comme Napoléon rédigeant le règlement intérieur de la Comédie-Française depuis le Kremlin, à Moscou, le Général ait pu concevoir et coucher sur le papier les idées et projets qu’il développer­ait plus tard lorsqu’il serait au pouvoir. Il avait tout prévu. Y compris que lorsque son dernier Compagnon passerait de vie à trépas, il serait inhumé au mémorial de la France combattant­e du mont Valérien. A condition, bien sûr, qu’il n’ait pas de son vivant décliné cet honneur. Des 11 Compagnons encore de ce monde – le benjamin âgé de 96 ans et le doyen qui vient de célébrer son 103e anniversai­re – sont donc priés de préciser leurs dernières volontés. De ces milliers de braves qui ont combattu hors des frontières, dans la Résistance intérieure ou dans la déportatio­n contre l’occupant nazi ou le régime de Vichy, par leurs évasions, leurs sabotages, leurs opérations de commando, leurs tracts, leurs journaux clandestin­s, il ne restera que la mémoire. Mais l’Ordre n’étant pas dissous, la flamme survivra aux cendres.

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Un ruban où le noir évoque la défaite et le vert l’espérance »

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