Le Figaro Magazine

“VIVRE ICI, C’EST VIVRE DANS UN MILIEU PUISSANT”

-

Une retraite discrète, presque un ermitage. Le chalet de Jean-Christophe Rufin, Le Crêt Gérad, est posé sur un replat dominé par l’imposante masse du Mont-Blanc et ses neiges éternelles. En cette matinée d’été, la terrasse, installée devant un vieux tronc évidé en forme d’abreuvoir où l’eau tombe goutte-à-goutte d’un robinet moussu, est baignée de soleil. L’auteur de Rouge Brésil, prix Goncourt 2001, a acquis cette maison grâce, entre autres, aux revenus tirés de ce roman. C’est là, à Saint-Nicolas-de-Véroce, tout près de SaintGerva­is, que l’écrivain, âgé de 65 ans, rédige ses manuscrits, dont le dernier, Le Tour du monde du roi Zibeline (Editions Gallimard), paru en avril 2017. Rangés dans un placard, enfermés dans des dossiers soigneusem­ent classés, ces feuillets écrits à la main trahissent calligraph­ie régulière et marges bien alignées. Sans ratures. « J’écris d’un seul jet, explique l’académicie­n, et reviens rarement sur mes phrases. » Ces pages sont nées à l’étage supérieur de l’ancienne grange – elle date de 1637 – à la solide charpente de bois. Un escalier abrupt conduit au bureau de Jean-Christophe Rufin. Face aux fenêtres qui ouvrent sur la chaîne du Mont-Blanc, il laisse courir sa plume.

D’où vous vient cet amour de la Haute-Savoie ?

Je n’ai aucune racine ici. Ma famille est berrichonn­e et j’ai été élevé à Paris. J’ai découvert la montagne lorsque j’avais 18 ans. Une amie m’avait invité à Tignes l’été. J’ai effectué mes premières randonnées. Mais, très vite, j’ai rêvé de piolets, de cordes, de pitons et de mousqueton­s. L’alpinisme m’attirait, alors que le ski ne me plaisait pas. Je ne suis pas bon skieur bien que je vive au pied des pistes. J’ai appris à grimper en m’inscrivant à un stage du Club alpin français à Chamonix. Par la suite, j’ai fait la connaissan­ce des frères Gabarrou, Philippe et Patrick, qui sont guides tous les deux à Samoëns, pas loin très d’ici. Patrick, notamment, a ouvert 80 voies d’alpinisme de haute difficulté. Ils sont devenus des amis.

Vous continuez de pratiquer ?

Oui, je grimpe régulièrem­ent. J’entretiens ma forme physique en pratiquant la randonnée, le skating à skis de fond et le VTT. Mais l’alpinisme a beaucoup changé. C’est devenu une discipline extrême où l’on s’assure beaucoup moins qu’autrefois. Les gars recherchen­t davantage le risque. Et moi, j’appartiens plutôt à l’ancienne école. Mais je m’adapte car je grimpe avec des gens beaucoup plus jeunes que moi.

A quel moment écrivez-vous ?

Plutôt en automne et en hiver. Je vis selon un cycle des saisons. Ici, le climat peut être hostile. Des températur­es de – 15 à – 18 °C ne sont pas rares. Les nuages cachent les sommets, la neige tombe, la vallée s’assombrit. J’aime bien ce monde fermé, un peu isolé. Le moment est propice : c’est là que je rédige mes livres. J’ai achevé mon dernier ouvrage, Le Tour du monde du roi Zibeline,

en environ six semaines, du 15 octobre au 30 novembre. C’est un environnem­ent fécond.

Que faites-vous ici quand vous n’écrivez pas ?

Je jouis de la tranquilli­té. Je contemple le paysage, qui change constammen­t. J’observe même le réchauffem­ent climatique : les glaciers ne cessent de reculer. Je ne suis pas climatosce­ptique mais je pense que les glaciers suivent des cycles très longs qui font qu’ils avancent très bas avant de se replier. C’est un paysage vivant. Les rochers aussi se modifient : des pans s’effondrent sous l’effet du réchauffem­ent. Au-dessus des dômes de Miage (qui surplomben­t son chalet, ndlr), une voie classique d’alpinisme a disparu. Au fond, la montagne, c’est le territoire de la longue durée. Sur ces rochers se lit l’épreuve du temps : des plissement­s calcaires, des volutes. Vivre ici, c’est vivre dans un milieu puissant.

Après plus de quinze ans ici, vous vous sentez savoyard ?

Je me sens bien mais je ne suis pas d’ici. Je suis berrichon. Les gens du village sont accueillan­ts mais ils ont une identité forte. Je ne souhaite pas m’en mêler. La Savoie, c’est un peu comme la Bavière, un mélange de tradition montagnard­e rurale et de vallées où l’on produit des biens de haute technologi­e. C’est le cas du sillon de l’Arve en direction de Genève où se trouvent des entreprise­s high-tech.

Vous vivez un peu en ermite ?

Je descends au village. Ils me connaissen­t. Je crois qu’ils sont assez touchés d’avoir un écrivain connu parmi eux. On m’a remis la plume d’or de la Société des auteurs savoyards en 2010. Je fais des signatures dans la libraire locale. C’est bon enfant.

Pourquoi n’avez-vous jamais écrit sur la montagne ou l’alpinisme ?

C’est un sujet difficile et qui a beaucoup changé depuis

Premier de cordée, de Roger Frison-Roche. Avec la varappe moderne, il n’y a plus de cordée et le sujet est devenu beaucoup moins romanesque. La recherche de l’exploit ne se prête pas vraiment à l’écriture.

Bouche-à-oreille

Les conseils de Jean-Christophe Rufin : « Une belle excursion pour la journée est d’emprunter le sentier qui va au mont Joly depuis Saint-Nicolas-de-Véroce, comptez 3 h de montée et 2 h 15 de descente. Sur le chemin, parfois raide, on passe par l’Alpage des Marmottes et son refuge avec une belle terrasse. Au sommet (2 525 m), le panorama sur le massif du Mont-Blanc est époustoufl­ant. »

 ??  ?? Entre deux « grimpettes », l’académicie­n reprend la plume. Il vient d’écrire la préface de l’édition du manuscrit original du « Tour du monde en 80 jours », de Jules Verne, aux Editions des Saints Pères.
Entre deux « grimpettes », l’académicie­n reprend la plume. Il vient d’écrire la préface de l’édition du manuscrit original du « Tour du monde en 80 jours », de Jules Verne, aux Editions des Saints Pères.

Newspapers in French

Newspapers from France