En vue : Raoul Dufy
Le musée Jean-Cocteau, à Menton, offre un moment de pur plaisir avec une superbe exposition haute en couleur consacrée à Raoul Dufy, et dont la partie dédiée à la mode ravit par sa modernité.
L’architecte Rudy Ricciotti s’est inspiré de l’esthétique de Jean Cocteau pour imaginer ce musée en bord de mer. Une arcade à l’italienne dont les piliers ondulent comme des reflets dans l’eau. Mais, à l’intérieur, c’est avec l’oeuvre de Raoul Dufy que l’alchimie opère joyeusement. Le regard s’arrête sur les premiers tableaux et aussitôt s’échappe vers ces hautes ouvertures qui donnent sur la baie de Menton. Dufy est chez lui, dans toute sa diversité. Peintures, aquarelles, gravures sur bois, céramiques, créations textiles s’offrent à nous dans la lumière du Midi. Et pourtant, c’est à la Manche et non à la Méditerranée qu’il doit sa vocation. Né au Havre en 1877, on l’envoie travailler dès l’âge de 14 ans dans une maison d’importation de café. La vue le fascine : le port, la mer, les bateaux. Il a envie de peindre ce qui l’entoure et prend des cours avant de partir pour Paris en 1900 où il s’inscrit à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts. Il s’intéresse à l’impressionnisme, au postimpressionnisme. Fasciné par Matisse, il adhère au fauvisme, lorgne ensuite vers le cubisme, se passionne pour le travail de Cézanne lors d’un séjour près de Marseille en compagnie de Georges Braque avant de trouver sa propre modernité. Ses pas le mèneront souvent dans le Sud : Martigues, L’Estaque, Hyères, Vence et Nice bien sûr, car il a épousé une Niçoise.
La vie de Raoul Dufy est jalonnée de rencontres fondamentales. Chacune lui faisant aborder un domaine nouveau, d’où cette fameuse réputation de génial toucheà-tout. En 1911, le couturier Paul Poiret lui propose de dessiner des étoffes. C’est le début d’une longue collaboration. Pendant vingt ans, les élégantes se pareront des motifs signés Dufy. Une bonne partie de l’exposition est consacrée à ces créations époustouflantes où l’on retrouve tout son répertoire graphique : fleurs, coquillages, palmiers… Une expérience qui lui fera dire : « J’ai pu réaliser cette relation de l’art et de la décoration, surtout montrer que la décoration et la peinture se désaltèrent à la même source. » En 1923, il découvre la céramique grâce au Catalan Josep Llorens Artigas. Là encore, il révèle un talent exceptionnel. La Galerie Landrot a prêté quelques réalisations magnifiques dont ce superbe Vase aux baigneuses et coquilles (1925).
Autre rencontre, en 1935, avec le chimiste Jacques Maroger qui a mis au point une peinture à l’huile aux effets comparables à l’aquarelle. Sans doute l’a-t-elle aidé dans la réalisation de l’oeuvre de sa vie, la monumentale Fée Electricité, une fresque de 600 mètres carrés (la plus grande au monde !) commandée pour l’Exposition universelle de 1937. Si l’original est bien connu de ceux qui fréquentent le musée d’Art moderne de la Ville de Paris, on en trouve ici une étude à taille humaine. On peut ainsi admirer de plus près le concept original de Dufy où le contour (la forme) est dissocié de la couleur sur laquelle il vient dessiner.
Le parcours de l’exposition s’articule autour des thèmes favoris de l’artiste : natures mortes, régates, courses à Deauville… On retrouve son sens inné de l’harmonie et du rythme dans les toiles consacrées à la musique (Console jaune avec violon, 1947). L’enchantement est total devant ses marines. La touche est fluide, spontanée, les bleus lumineux (Bateaux à quai, 1926). Les vagues sont autant de jeux graphiques. Il y a une légèreté et un optimisme contagieux dans ces toiles, sans doute à l’origine du succès que Dufy a rencontré tout au long de sa carrière. Gertrude Stein, la grande collectionneuse américaine, le surnommait « le peintre du plaisir ». Mais le père du tachisme, Hans Hartung, voit autre chose : « Dans cette presque trop grande gaieté on sent une âpreté, un élan brutal, un peu dur et très vif. Cela aggrave en beauté ce jeu des lignes trop joyeux la plupart du temps. Et cela me plaît terriblement. » Certains parlent de « modernes vanités » à propos de son oeuvre où la présence de la mort apparaîtrait au côté des plus belles choses. Présence soulignée par des reprises jusqu’à saturation des couleurs et des lignes. Derrière cette image de bonheur, Dufy cachait-il une âme tourmentée ?