Le Figaro Magazine

COLLECTION­S SECRÈTES : LES ANIMAUX FANTASTIQU­ES DE PATRICK GENTIL

- PAR GHISLAIN DE MONTALEMBE­RT (TEXTE) ET PAUL RENOUX (PHOTOS)

En une vingtaine d’années, cet industriel passionné par la chasse et les grands espaces a constitué l’une des plus riches collection­s de trophées en Europe. Lion, éléphant, crocodile, ours polaires… Tous empaillés, mais presque vivants.

AArdenay (Sarthe), les animaux sont partout. Dès le seuil du château franchi, le ton est donné : un immense ours polaire vous accueille, un plat d’argent solidement accroché entre les griffes. « C’est un clin d’oeil à Tolstoï. Il avait mis dans l’entrée de sa maison la peau d’un ours qui avait failli le dévorer ! » explique Patrick Gentil, qui a toujours eu un faible pour la Russie. C’est d’ailleurs là-bas que cet industriel, à la tête d’un groupe européen (Rasec) spécialisé dans le mobilier profession­nel pour grandes surfaces (caisses, présentoir­s…), a choisi de vivre depuis 2014. « Suite à un changement de vie », explique-t-il sans autre détail. Depuis, Patrick Gentil ne retourne qu’épisodique­ment au rendezvous de chasse du domaine d’Ardenay, pour voir ses enfants et superviser durant l’hiver quelques chasses auxquelles il invite ses relations d’affaires. Sans attendre, il nous entraîne à la découverte de la vaste demeure du XVIIIe siècle. Celle-ci recèle de nombreuses surprises. D’abord, deux autres ours dans le salon. Frissons garantis ! Le premier est un autre ours polaire – environ 4 mètres de haut, la gueule béante, la dentition menaçante et la langue rose -, l’autre, guère plus rassurant, est un grizzly kodiak tué aux confins de l’Extrême-Orient russe. Deux animaux répertorié­s comme les plus grands carnivores terrestres ! Au-dessus de la cheminée de marbre trône un majestueux cerf maral atypique, tué par Patrick Gentil au Kazakhstan, à la frontière de la Mongolie et de la Chine ; derrière l’un des canapés, un thar (caprin) du Népal vous observe fixement ; au mur, un mouflon géant d’Asie centrale (Ovis ammon polii, dit aussi Marco Polo) fait figure de tableau d’ancêtre, le sourire en moins. Dans un autre coin de la pièce, un léopard tout droit venu du pays Massaï (Tanzanie) montre les crocs, le regard fixe et menaçant. « Il avait tué une fillette dans le village, les gens le détestaien­t », se justifie Patrick Gentil. Il connaît par coeur l’histoire de chacune de ses victimes. Magnanime, il a choisi de leur redonner une seconde vie, voire un parfum d’éternité, grâce aux miracles opérés par le taxidermis­te Damien Barbary (1), spécialist­e de la faune africaine.

« Vous voyez des animaux morts… mais moi, je les vois vivants, reprend l’industriel français. Chacun d’eux me rappelle un biotope, une scène, les échanges souvent merveilleu­x que j’ai pu avoir avec les population­s locales que j’ai croisées au hasard de mes pérégrinat­ions. » Et de raconter l’une de ses chasses au Kamtchatka, péninsule volcanique située en Extrême-Orient russe et réputée pour abriter de nombreux mammifères (ours bruns, loups, renards arctiques, mouflons des neiges…). Bref, un paradis pour les chasseurs, mais qui se mérite ! « Je dormais chez un trappeur, dans une cabane crasseuse de 3 mètres sur 3, raconte Patrick Gentil. Il faisait – 35 °C. Pour me réchauffer, mon hôte me faisait un grand feu le soir. Je m’endormais bien au chaud, tout transpiran­t même, habillé et chaussé comme le sont les montagnard­s… mais c’était pour finir la nuit à

– 10 °C ! Le réveil, le matin, relevait de la torture : quand je tirais le Zip de mon sac de couchage, je sentais le froid me fendre le cerveau ! Il faut avoir la frite pour repartir à cheval dans ces conditions. » Pendant des années, Patrick Gentil a parcouru la planète pour assouvir sa passion de la chasse. Mais c’est à Ardenay que ce gentleman chasseur tout droit sorti d’un roman de Kipling ou de Kessel, amusant et disert, aussi prompt à dégainer sa carabine qu’à s’enthousias­mer pour une nouvelle aventure (voire une nouvelle vie !), a entreposé les quelque 150 trophées qui constituen­t l’une des plus étonnantes collection­s privées d’Europe en la matière. Vivant désormais à Moscou, Patrick Gentil a confié les clés de son château à des amis brésiliens et placé sa collection sous la protection d’une associatio­n locale de chasseurs (la Fédération libre chasse 72), chargée d’en assurer l’unité et la conservati­on. →

150 TROPHÉES DE CHASSES LOINTAINES

→ L’homme se flatte d’être le seul Français et l’un des rares Européens à détenir le Crowning Achievemen­t Award du Safari Club Internatio­nal, une sorte d’aristocrat­ie des chasseurs rassemblan­t 30 000 adhérents dans le monde : des Américains, des Indiens, des Japonais, des Russes… Certains d’entre eux, fortune faite à 40 ou 50 ans, chassent jusqu’à 300 jours par an, parcourant le monde à bord de leur jet privé. « Ce n’est pas du tout mon cas, tient à préciser Patrick Gentil, qui dit chasser beaucoup moins qu’auparavant. Les budgets, pour les chasses de l’extrême, ont terribleme­nt grimpé. Il y a quelques années, on pouvait chasser le mouflon en Iran pour 2 000 euros. Maintenant, c’est plutôt 20 000 euros. Autre exemple : traquer le markhor, animal très recherché en Asie centrale, coûtait aux alentours de 10 000 euros il y a une vingtaine d’années. Maintenant, c’est plutôt 120 000 euros. Totalement prohibitif ! Et encore, on paye la licence sans être sûr de tirer l’animal… »

Toutes ses malheureus­es victimes ne rentrant pas dans son salon,

Patrick Gentil a créé pour elles, dans les communs du domaine d’Ardenay, un espace qui leur est dédié. Bienvenue dans la salle des trophées ! Spectacula­ire… Suspendu au mur, un trophée d’éléphant du Zimbabwe de plus de 400 kilos (il a fallu mettre un IPN dans le mur pour le soutenir) voisine avec un crocodile d’environ 4 mètres de long, tué au lac Cahora Bassa (Zambèze) en 2006. Ici, un boeuf musqué à l’allure pathétique venu du Groenland, ailleurs des loups polaires tirés au-delà du cercle arctique, un majestueux bongo ou encore un éland de Derby dont la viande, parfumée au gardénia - cet animal patibulair­e en raffole -, est réputée être l’une des meilleures au monde. Puis soudain, un lion majestueux, tué par Patrick Gentil en Tanzanie. « Il observait le coucher du soleil ; il était magnifique », se souvient le chasseur. Le roi de la jungle réveille chez lui des souvenirs plus lointains, ceux d’une chasse qui lui a donné l’occasion de vivre l’une des plus grandes frayeurs de son existence. « C’était au petit matin. Avec mon guide, nous avions repéré un buffle mort dans le lit d’une rivière asséchée, au pied d’un arbre. Il avait été attaqué par un lion mais nous ne savions pas où se trouvait ce dernier. Nous sentions juste sa présence ; c’est une sensation étrange qui vous glace le sang. Nous nous approchion­s avec précaution du buffle lorsque nous entendîmes un rugissemen­t au-dessus de nos têtes. Le lion se trouvait dans l’arbre, battant la queue. En trois bonds, il pouvait nous sauter dessus et nous dévorer. Des talons aux cheveux, j’avais l’impression d’être littéralem­ent en feu ! Il fallait éviter tout geste brusque. Nous avons continué à marcher lentement, très lentement… Lorsque nous nous fûmes suffisamme­nt éloignés, le lion est descendu de son arbre, avec un grognement plein de mépris qui en disait long sur son humeur. »

Le plus curieux dans l’affaire est que Patrick Gentil ne s’est mis à la chasse que tardivemen­t, à 44 ans. Pas évident pour un végétarien convaincu ! Il a même été anti-chasseur pendant de nombreuses années ! « C’est le cheval qui m’a amené à la chasse, explique-t-il. Je possédais une demeure en Anjou et c’est là que j’ai découvert, après m’être mis à l’équitation sur le tard, l’univers très élitiste des chasses à courre. » Curieux de nature, Patrick Gentil a toujours aimé naviguer à travers les strates de la société, s’amusant de frayer simultaném­ent avec le gotha des affaires, les notables de l’Anjou ou de la Sarthe mais aussi le monde paysan, voire ouvrier, dont il n’a jamais oublié qu’il est issu. Arboricult­eurs, ses grands-parents paternels habitaient Orgeval, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Paris. Son père était cheminot. Patrick Gentil aime souligner avec fierté qu’il est parti de rien, fondant avec peu de moyens, à l’âge de 28 ans, sa première société. Dans un livre qu’il a écrit il y a quelques années (2), Patrick Gentil racontait, avec une pointe d’ironie, sa découverte de la vénerie. « De ce monde inconnu, j’appris sur le tas les us et coutumes, les bonnes manières et le riche vocabulair­e qui parsème notre belle langue française. J’eus la patience d’entendre pendant des heures ces récits fastidieux de laisser-courre auxquels on n’a pas participé, mais il est vrai que mon expérience du golf avait renforcé ma capacité d’écoute. […] La curée m’était devenue familière avec son concert de viscères chauds avalés en quelques secondes par une meute de chiens tricolores déchaînés. Progressiv­ement, je me fis de bons amis parmi les piliers de l’équipe. Les invitation­s de château en château égayaient les dimanches. Je ne cachais

LE PLAISIR IRRATIONNE­L DE LA CONQUÊTE

pas la modestie de mes origines mais certains signes extérieurs plaidaient en ma faveur – châtelain, industriel… » Jusqu’au jour où Patrick Gentil s’est lassé de cet univers fermé. Il a décidé d’étendre son terrain de chasse à notre vaste monde.

Oubliée, la bonne conscience de l’anti-chasseur ?

« Les chasseurs font beaucoup moins de mal que la déforestat­ion, argumente-t-il. La disparitio­n accélérée des mammifères vertébrés depuis quelques décennies est due à 95 % à la raréfactio­n des zones “sauvages” en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie et à la croissance exponentie­lle des population­s qui, pour améliorer leur sort difficile, pratiquent à outrance la déforestat­ion et tuent par tous les moyens la faune sauvage à risque (lions, tigres, buffles…) ou comestible. Les prélèvemen­ts des chasseurs ne représente­nt que 1 à 2 % du total », assure notre collection­neur de trophées. Collection­neur ? Le terme le fait bondir comme un léopard ! « Ce n’est pas l’accumulati­on qui m’intéresse, mais la joie de découvrir et de parcourir des paysages grandioses, de rencontrer des gens souvent extraordin­aires, explique-t-il. La chasse, c’est aussi le plaisir de la conquête, qui relève de l’irrationne­l car on tue l’animal que l’on admire entre tous. » ■

(1) Installé à La Marolle-en-Sologne (Barbary-taxidermis­te.com).

(2) Mémoires d’un anti-chasseur, Editions RLT (2012, disponible à la librairie de Montbel, Paris VIIIe, et sur Amazon).

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Ce vieux crocodile de 4 m de long vivait dans les eaux du lac Cahora Bassa (Mozambique). Sa tête, mesurant 91 cm, est impression­nante. Sans parler de sa dentition...

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