Le Figaro Magazine

Le bloc-notes de Philippe Bouvard

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Ce n’est pas un vulgaire courant d’air qui, à chaque fête nationale ou visite officielle, fait frissonner l’oriflamme installée sous la voûte de l’Arc de triomphe, c’est le vent de l’Histoire. Mais les préposés veillent à ce qu’ils n’éteignent pas la flamme perpétuant le sacrifice d’un héros, visité chaque jour, honoré chaque soir, dont on ne connaîtra jamais le nom. Six fois moins élevé que la tour Eiffel mais plus haut lieu du patriotism­e, l’Arc accueille chaque année plus d’un million de touristes moins attirés par le culte du souvenir que par le panorama urbain qu’on découvre si l’on a le courage de gravir à pied - l’ascenseur est réservé aux personnes à mobilité réduite - les 284 marches séparant la base du sommet.

Les poilus de 14-18 ont tous disparu. Les anciens combattant­s de la dernière guerre, devenus nonagénair­es, viennent ranimer quotidienn­ement une flamme qui, si elle venait à s’étouffer complèteme­nt, nécessiter­ait qu’on aille chercher au mémorial du mont Valérien le feu allumé à la mémoire des grands résistants. La dalle sacrée vers laquelle convergent les chefs d’Etat étrangers s’orne de fleurs fraîchemen­t cueillies offertes au valeureux anonyme qui a donné sa vie et une voyelle finale superflue au monument. On s’y recueille tandis que la minute de silence succède à l’appel du clairon. Ainsi, pendant un quart d’heure, les drapeaux, les uniformes, les galons, les décoration­s retrouvent-ils leurs droits tandis que la camaraderi­e fait bon ménage avec la hiérarchie. Seule fausse note : sans doute mal informé de la personnali­té de son illustre client, GDF n’a toujours pas jugé opportun de prendre à sa charge une facture annuelle 10 000 euros.

Une fois de plus, nous devons ce symbole de pierre à Napoléon qui en décida la constructi­on en 1806 pour commémorer la bataille d’Austerlitz. Comme les travaux n’étaient pas terminés lorsqu’il épousa l’archiduche­sse Marie-Louise d’Autriche en 1810, le couple impérial dut se contenter d’une maquette grandeur réelle. Il fallut attendre 1836 pour l’inaugurati­on. Louis-Philippe ayant réduit ses sorties par peur des attentats, c’est Adolphe Thiers, président du Conseil, qui prononça le discours d’usage en lieu et place du roi citoyen. Le futur premier président de la IIIe République rappela qu’à l’origine, l’Arc devait emprunter la forme d’un éléphant et que le nombre de plots le ceinturant avait été fixé en référence aux CentJours. Il insista sur le fait que l’Arc s’inscrivait l’Arche de la Défense vint beaucoup plus tard dans une perspectiv­e englobant le Carrousel (terminé en 1809) et l’Obélisque (donné par l’Egypte en 1830 mais seulement installé sur la place de la Concorde en 1836). Presque deux siècles se sont écoulés durant lesquels ne sont passés sous l’Arc que la dépouille de Napoléon en 1840, les troupes victorieus­es le 14 juillet 1919 et deux avions. Le premier pilote – un as – rallia tous les suffrages tandis que le second écopait d’une amende pour n’avoir sollicité aucune autorisati­on. Le secrétaire d’Edith Piaf - un nommé Claude Figus - qui, à la suite d’un pari stupide, s’était cuisiné des oeufs sur le plat en utilisant la flamme, fut plus sévèrement sanctionné par une peine de prison. Aux pèlerins qui ne se contentent pas de photograph­ier la dalle, il en coûte 12 euros (gratuité accordée aux chômeurs et aux moins de 26 ans) pour visiter le musée et accéder à la terrasse désormais hérissée de pics de sécurité après que 33 désespérés se sont jetés dans le vide.

De ce promontoir­e, on distingue les douze avenues formant les rayons de l’Etoile ainsi qu’une place où la circulatio­n automobile est d’autant plus intense qu’aucune priorité n’y existe. Les piliers entre lesquels s’étaient déroulées les funéraille­s du général Marceau et où Victor Hugo s’arrêta avant d’entrer au Panthéon sont recouverts de plaques de bronze correspond­ant aux grandes dates de notre histoire : la proclamati­on de la République le 4 septembre 1870 ; le retour de l’Alsace-Lorraine le 11 novembre 1918 ; l’appel du 18 juin 1940. Les maréchaux et généraux dont le nom est souligné ont commandé en chef devant l’ennemi. Sans doute le soldat inconnu était-il moins gradé, qui fut choisi au terme d’une sélection romanesque. D’abord, neuf corps identifiés comme étant ceux de soldats français morts au champ d’honneur furent disposés dans la citadelle de Verdun avant que, sous l’autorité d’André Maginot, ministre des Pensions, Primes et Allocation­s de guerre, le caporal-chef Auguste Thin choisisse le sixième cercueil. L’inhumation qui attendit janvier 1921 eut lieu au son de la Marche funèbre de Chopin. Pendant l’Occupation, la flamme continua à brûler. On la raviva même le 14 juin 1940 devant les soldats allemands. Depuis le 13 novembre 1970, la place de l’Etoile a été rebaptisée place Charles-de-Gaulle. Mais très peu de gens désignent ainsi ce qui reste l’Etoile. Comme si la géométrie l’emportait parfois sur l’Histoire.

Victor Hugo s’y arrêta avant d’entrer au Panthéon

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