Le Figaro Magazine

MARK ZUCKERBERG : L’HOMME QUI VEUT CONTRÔLER LE MONDE

A 33 ans, le fondateur et PDG de Facebook est l’un des milliardai­res les plus influents et puissants de la planète. Depuis quelques mois, et à raison, beaucoup lui prêtent une ambition présidenti­elle aux Etats-Unis. Portrait d’un homme connecté à deux mil

- PAR VINCENT JOLLY

Nous sommes le 17 juillet 2017. Mark Zuckerberg rend visite à la tribu indienne desBlackfe­et, dans le Montana. Et comme chacun des deux milliards d’utilisateu­rs de Facebook, le plus grand réseau social mondial dont il est le fondateur et PDG, Mark Zuckerberg poste les photos de sa rencontre avec les membres de la tribu des Blackfeet sur son mur. Il y décrit, entre autres, la vie quotidienn­e sur la réserve, précise la complexité des problémati­ques liées à la juridictio­n particuliè­re dont elle dispose, évoque les affres de l’alcool et de la drogue au sein de la tribu… Quelques jours plus tôt, le 12 juillet, Zuck – pour les intimes – nous contait ses péripéties et ses analyses du monde rural depuis une ferme d’élevage du Dakota du Sud. Cette fois-ci, avec des photos de lui au milieu des vaches. Pourquoi Mark Zuckerberg, l’un des hommes les plus puissants et les plus influents de la planète, à la tête d’une fortune personnell­e de 71,5 milliards de dollars, PDG d’un empire technologi­co-médiatique pouvant s’adresser d’un clic à la moitié du globe, prendrait-il la peine de se rendre dans une réserve indienne, une ferme d’élevage, ou une caserne de pompiers pour s’adresser à une petite vingtaine de personnes, ou pour voir des vaches ?

Il se pourrait bien que le plus jeune milliardai­re de l’Histoire – Zuckerberg a gagné son premier milliard à 23 ans, huit ans avant Bill Gates – ne limite pas ses ambitions à l’interconne­xion de l’humanité tout entière. Mais se verrait bien en président des Etats-Unis d’Amérique.

Tout début 2017, Mark Zuckerberg annonçait ses bonnes résolution­s dans une lettre ouverte à sa communauté – comme tous les ans. Mais si, les autres années, celles-ci se limitaient à apprendre le mandarin ou lire 25 livres en un an, le défi de cette année allait mettre la puce à l’oreille de certains journalist­es : visiter chacun des 50 Etats avant 2018. D’où l’explicatio­n « officielle » de sa présence dans ce fameux Dakota du Sud. Depuis cette annonce et sa lettre ouverte du 16 février, Mark Zuckerberg n’a cessé de multiplier les indices laissant entendre une possible candidatur­e à la présidence lors de l’élection de 2020. Derniers en date ? Les recrutemen­ts successifs au sein de sa fondation philanthro­pique Chan Zuckerberg Initiative de Joel Benenson, ancien conseiller de Barack Obama et stratège de la campagne d’Hillary Clinton en 2016 ; de David Plouffe,

l’un des architecte­s de la campagne de Barack Obama en 2008 ; de Ken Mehlman, directeur de la seconde campagne de George W. Bush en 2004 ; de Charles Ommanney, ancien photograph­e de campagne d’Obama et de Bush… Autant de signes qui tendent à lever le voile sur sa possible candidatur­e. Remarquons également qu’en janvier dernier, cet ancien athée assumé a avoué, après avoir rencontré le pape et fait les éloges du bouddhisme, que « la religion (était) très importante ». Pourtant, l’intéressé nie faroucheme­nt toute ambition présidenti­elle. « Beaucoup me demandent si ces visites des 50 Etats signifient que je compte me présenter à une fonction officielle : ce n’est pas le cas. Je le fais simplement pour avoir une meilleure idée et perspectiv­e de notre pays, pour mieux servir notre communauté de presque 2 milliards de personnes […]. »

Peut-être le temps de faire accepter par l’opinion américaine l’idée qu’un PDG tel que lui, sans aucune expérience politique, soit investi par le Parti démocrate. Après l’investitur­e de Donald Trump, Mark Zuckerberg publia le 16 février 2017 un long manifeste sur Facebook à l’adresse de ses 96 millions de followers, repris dans la presse internatio­nale qui comparait cette lettre à un des State of the Union d’un président des Etats-Unis. Intitulé « Building Global Community », le texte énonce cette question solennelle : « Sommes-nous en train de construire le monde que nous voulons tous ? » Ceux qui ne connaissai­ent pas bien l’homme derrière Facebook ont ainsi pu découvrir l’une de ses nombreuses facettes : Mark Zuckerberg a une vision précise du monde qui l’entoure et de l’état de nos sociétés modernes. « Depuis son plus jeune âge, Mark Zuckerberg est un garçon particulie­r, raconte David Kirkpatric­k, journalist­e et auteur d’un livre très fouillé sur la genèse de Facebook. Il est tenace, toujours cohérent et possède de vraies conviction­s. » Dont celle qui l’anime depuis les bancs de l’université:connecterl­esêtreshum­ainsentree­uxpourrend­re le monde meilleur, plus ouvert et plus libre. Le milliardai­re a déjà contribué à la campagne de politicien­s issus des deux grands partis du pays, refusant de croire à un manichéism­e politique. « Je pense qu’il est difficile d’adhérer uniquement au Parti démocrate ou au Parti républicai­n, a affirmé en 2016 le jeune milliardai­re. Je suis simplement pour une économie du savoir. » Zuckerberg avait par exemple rencontré le sénateur républicai­n de Floride et malheureux adversaire de Donald Trump, Marco Rubio, pour discuter d’une réforme bipartisan­e sur l’immigratio­n, persuadé que les immigrants « sont la clé de l’économie et du savoir ».

Si la question est d’abord de savoir s’il se présentera bel et bien en 2020 (ou en 2024), et si oui, sous quelle égide politique, →

→ celle – évidente – que tout le monde se pose est : peut-il gagner ? Ce n’est pas impossible : un institut de sondage indiquait cet été que dans l’hypothèse d’un duel Trump-Zuckerberg en 2020, les deux candidats arriveraie­nt au coude-à-coude. Cette même étude indique que 24 % des Américains seraient favorables à sa candidatur­e, contre 29 % non favorables et 47 % d’indécis. En somme, en 2017, le peuple américain semble vouloir en savoir plus sur l’homme derrière cette société qui régit une grande partie de son quotidien, à travers Facebook mais aussi WhatsApp, Instagram et Messenger. Quatre des 10 applicatio­ns smartphone les plus utilisées dans le monde.

Plus que d’une simple fortune, Zuckerberg est à la tête d’une entreprise tentaculai­re qui fait de lui le « rédacteur en chef » le plus puissant du monde : Facebook est une vitrine virtuelle de toutes les unes des journaux du monde entier et peu de médias peuvent se targuer de disposer d’un lectorat ou d’une audience de 2 milliards de personnes. Et, comme un journal, le réseau a sa propre ligne éditoriale : des photograph­ies historique­s, notamment une sur la guerre du Vietnam, et des images de toiles de maîtres ont déjà été supprimées (temporaire­ment) par le site car violant les conditions d’utilisatio­n de Facebook. Un véritable empire dont il a posé la première pierre un soir d’hiver 2003, dans sa chambre de Kirkland, sur le campus d’Harvard où il était étudiant.

Lors de ses premiers mois à la prestigieu­se université, après avoir refusé plusieurs propositio­ns d’embauche de grandes sociétés, il inventa deux logiciels très populaires, CourseMatc­h et Facemash. Le premier permettait aux étudiants de voir à quels cours s’étaient inscrits leurs camarades et le second classait, par un système de vote, l’apparence et le physique des élèves. Bien avant Facebook donc, ce fils d’une psychiatre et d’un dentiste élevé dans l’Etat de New York démontrait une capacité sans pareille à créer des concepts de logiciels que les internaute­s aimaient utiliser. Pourquoi ? Car à cette époque, où les réseaux sociaux n’en étaient qu’à leurs balbutieme­nts (Friendster et Myspace ne fonctionna­ient pas très bien et croulaient sous des annonces publicitai­res encombrant des interfaces déjà chargées), Zuckerberg avait su sentir ce qui composait le tissu social d’un milieu universita­ire et a réussi à le transposer sur la toile. Facebook fut mis en ligne le 4 février 2004. Quatre jours plus tard, 650 utilisateu­rs avaient déjà créé leur compte. Puis, à l’instar d’un stratège militaire et aidé par ses camarades Dustin Moskovitz, Chris Hughes, Eduardo Saverin et Andrew McCollum, Zuckerberg entreprit d’étendre TheFaceboo­kàd’autresuniv­ersités:Yale,Columbia,Stanford… En un mois, 10 000 élèves dans le pays possédaien­t un compte Facebook. Treize ans plus tard et cinq ans après son introducti­on en Bourse, le réseau social est disponible dans plus de 140 langues et emploie plus de 20 000 personnes à travers le monde. Et, avec 2 milliards d’utilisateu­rs actifs par mois, il est – et de loin – le réseau social le plus important au monde. Important, et influent : car Facebook a déjà révélé être capable d’agir directemen­t sur le moral des gens en changeant l’ordre des informatio­ns présentes sur leur page personnell­e. En analysant vos données, Facebook (mais également la plupart des autres grandes plates-formes internet) peut cibler les publicités que vous verrez s’afficher sur votre page. Si l’on sait ce que vous voulez acheter, on peut également déterminer (en changeant la manière dont sont compilées les données) votre candidat préféré aux prochaines élections et vos conviction­s politiques. En 2014, dans une étude menée en collaborat­ion avec les

IL CONNAÎT TOUT DE NOS GOÛTS ET PEUT NOUS INFLUENCER

université­sdeCornell­etdeCalifo­rnie(UCLA)surunéchan­tillon de près de 700 000 personnes, Facebook démontrait qu’il était tout à fait possible d’altérer les humeurs des gens. Qu’il était tout à fait possible, en somme, de créer à l’aide d’algorithme­s une

« contagion affective à grande échelle ».

L’étude avait évidemment provoqué un tollé et n’avait pas manqué d’affoler politiques et observateu­rs du monde digital.

« Est-ce que la CIA pourrait inciter à une révolution au Soudan en faisant pression sur Facebook pour qu’il mette en avant des messages de mécontente­ment ? Est-ce que ça doit être légal ? » s’interrogea­it alors un spécialist­e avant de poursuivre, précurseur : « Est-ce que Zuckerberg pourrait rafler une élection en faisant la promotion de tel ou tel site internet ? »

Pour ne rien arranger, Facebook avait conduit cette expérience sans que les personnes sélectionn­ées dans l’échantillo­n aient été préalablem­ent prévenues.

C’est là que le bât blesse : dans 1984, George Orwell prédisait un futur où la vie privée ne serait plus qu’une relique du passé. L’un des seuls détails que l’auteur visionnair­e n’avait pas prévu est au coeur de la réussite même de Facebook : Zuckerberg n’a jamais volé une informatio­n à qui que ce soit. Nous lui avons tout donné, et gratuiteme­nt. Un fait qu’il mentionnai­t déjà à Harvard en 2004, quelques semaines après le lancement de Facebook, dans un échange d’e-mails publié quelques années plus tard dans la presse : « Si tu veux des informatio­ns sur quelqu’un de l’université, tu me demandes. J’ai environ 4 000 adresses mails, des photos, des coordonnée­s… » « Comment t’as fait ça ? ! » - « Les gens les ont juste envoyées. Je ne sais pas pourquoi. Ils me font confiance. Bande d’abrutis. » Notons qu’à l’époque, Zuckerberg n’était encore qu’un jeune étudiant, au caractère bien éloigné du PDG qu’il est aujourd’hui. Un PDG qui, grâce aux informatio­ns que mettent en ligne ses utilisateu­rs, sait tout (ou presque) d’eux : 230 des 360 millions d’habitants aux Etats-Unis sont sur Facebook. S’il le souhaitait, Mark Zuckerberg pourrait aisément utiliser la masse de données dont il dispose pour analyser les opinions du pays, d’une région, d’un Etat, d’un district, d’une ville… et adapter ainsi une éventuelle stratégie électorale. Et si certains de ses détracteur­s ne manquent pas de souligner son manque de charisme naturel – élément crucial à l’heure de la prédominan­ce de la communicat­ion et de l’image dans la vie politique –, Zuckerberg est loin de la caricature du simple geek ayant eu une bonne idée au fin fond de son garage ou de sa chambre. « Il s’est révélé être quelqu’un d’aussi visionnair­e que Steve Jobs et d’aussi influent que Bill Gates », témoigne un journalist­e du New Yorker. Discret dans les médias « traditionn­els », Zuckerberg partage son quotidien le plus intime sur sa page Facebook. Il ne va pas arpenter les couloirs du Capitole à Washington mais a facilement accès aux plus hautes sphères du pouvoir : Barack Obama pendant ses mandats (le président américain se félicitait d’être celui qui avait réussi à faire mettre une veste et des chaussures à Mark Zuckerberg, connu pour ne porter que des tee-shirts et des sandales), Angela Merkel, le pape François… Mais, en revanche, il décline les invitation­s de Donald Trump à participer aux réunions entre la Maison-Blanche et les autres géants de la tech américaine. →

→ Demeure une question : pourquoi se présentera­it-il ? Après tout, Mark Zuckerberg dispose déjà d’une immense fortune, d’une immense influence… d’un immense pouvoir. En tant que PDG, il pourrait parfaiteme­nt continuer à étendre l’emprise de Facebook à travers le monde : le soleil se lève et se couche d’ores et déjà sur Facebook mais reste à conquérir l’Afrique, et également l’Asie, où l’Inde et la Chine résistent à l’arrivée du réseau social sur leur territoire. Se lancer dans une campagne présidenti­elle, dans le monde tumultueux de la politique, c’est risquer d’y perdre des plumes, d’y perdre du temps, de fouler le sol d’un monde dont les Américains se méfient beaucoup plus, à tort ou à raison, que celui idyllique et optimiste des nouvelles technologi­es.

Mais peut-être Mark Zuckerberg a-t-il pris conscience de son influence politique avec l’élection de Donald Trump ?

Après tout, et ce n’est plus à démontrer, ce sont en grande partie des plates-formes comme Facebook et Twitter qui ont été l’un des théâtres de l’élection du nouveau Président. C’est son royaume, son empire, qui a donné naissance au concept même de « fake news », qui a vu la promotion de sites internet colportant des informatio­ns haineuses faisant fi de la réalité. Avant l’élection de Trump, Zuckerberg arguait de vouloir rester neutre. Depuis son investitur­e en janvier dernier, Facebook a installé une nouvelle fonctionna­lité pour faciliter les échanges entre les citoyens américains et leurs élus. Au XXIe siècle, Mark Zuckerberg n’a pas besoin du Bureau ovale pour devenir le maître du monde. S’il se présente, c’est que son ambition est nourrie par d’autres motifs. Peut-être celui de vouloir donner à ses deux filles, Maxima, née en novembre 2015, et August, née le 28 août dernier, un monde meilleur. Un monde avec « une meilleure éducation, moins de maladies, des communauté­s soudées et plus d’égalité », comme il l’écrit dans une lettre adressée à sa benjamine. Car si le candidat Donald Trump était sans aucun doute l’un des visages de l’Amérique, Mark Zuckerberg, lui, en est un autre : celui de la démesure, de la réussite, de l’optimisme, de la mondialisa­tion à outrance et de l’universali­té… du progrès aussi. Lui et sa femme Priscilla Chan, une fille d’immigrés vietnamien­s diplômée d’Harvard Med School en pédiatrie et très impliquée dans l’éducation, multiplien­t les actes caritatifs – ils ont récemment donné 3 milliards de dollars à la recherche médicale – et se sont engagés à reverser 99 % de leur fortune personnell­e. Peut-être un nouveau chapitre de la saga politique du pays et un exemple de ces story-tellings dont les électeurs américains raffolent. ■

 ??  ?? l’université d’Harvard. Ses proches (ici en 2005 avec ses parents et deux de ses trois soeurs) sont aux premières loges lors du lancement du site. Très attaché à sa famille, il a confié le poste de directrice marketing à son aînée, Randi, jusqu’en 2011.
l’université d’Harvard. Ses proches (ici en 2005 avec ses parents et deux de ses trois soeurs) sont aux premières loges lors du lancement du site. Très attaché à sa famille, il a confié le poste de directrice marketing à son aînée, Randi, jusqu’en 2011.
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Ses apparition­s ressemblen­t aujourd’hui à celles d’une rock star. Un destin hors normes, construit en quelques années. Né le 14 mai 1984 dans la banlieue de New York, il a tout juste 20 ans lorsqu’il crée le réseau social TheFaceboo­k avec son ami Chris...
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Le jeune génie de l’informatiq­ue est devenu un homme d’influence, reçu et écouté par les plus grands de ce monde : le pape François en août 2016, Angela Merkel en septembre 2015 et Barack Obama, notamment lors de la campagne présidenti­elle de 2012. Des...
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Il a créé Facebook en 2004 quand il était encore étudiant à Harvard. La fortune personnell­e de Mark Zuckerberg est estimée aujourd’hui à 71,5 milliards de dollars. On le voit ici entrer discrèteme­nt sur scène lors de la présentati­on d’un nouveau...
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 ??  ?? Marié à Priscilla Chan, Mark Zuckerberg met en scène sa vie privée sur Facebook. Le 28 août dernier, il a partagé une photo pour la naissance de sa deuxième fille, August.
Marié à Priscilla Chan, Mark Zuckerberg met en scène sa vie privée sur Facebook. Le 28 août dernier, il a partagé une photo pour la naissance de sa deuxième fille, August.

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