Philippe Séguin, l’homme qui fut un reproche vivant pour les siens
L’HOMME QUI FUT UN REPROCHE VIVANT POUR LES SIENS
Il est rare d’être à la fois historien et haut fonctionnaire. Ancien élève de l’Ecole normale supérieure et de l’Ecole nationale d’administration, Arnaud Teyssier offre cette singularité. Biographe reconnu de Richelieu, Lyautey et Péguy tout autant que grand commis de l’Etat, il fut également un collaborateur de Philippe Séguin à la présidence de l’Assemblée nationale.
Son nouvel ouvrage, Philippe Séguin. Le remords
de la droite (Perrin, à paraître le 14 septembre), tient de l’étude historique et de la biographie politique. Appelé à devenir l’ouvrage de référence sur un homme public rare, trop tôt disparu, à l’âge de 66 ans, en 2010, le livre d’Arnaud Teyssier est aussi une réflexion passionnante sur la dénaturation des institutions de la Ve République et la « dégaullisation » de la droite. Extraits.
La bataille de sa vie : le traité de Maastricht
« Un nouveau sujet va pourtant émerger, saisir Philippe Séguin et l’entraîner définitivement sur le devant de la scène : la ratification du traité de Maastricht. C’est là que sa personnalité politique va prendre pleinement et durablement ses traits. Maastricht, c’est son noeud gordien, le point où toutes les promesses du gaullisme, de la Libération, de la Ve République sont lacées et entrelacées par une logique nouvelle qui les emmène à la mort. […] Son heure de gloire va être la discussion du projet de loi de réforme constitutionnelle qui commence à l’Assemblée le 5 mai 1992. […] Un peu après 22 h 30, dans une ambiance très lourde, l’orateur monte à la tribune. Il s’engage alors dans un discours-fleuve de près de deux heures trente qui, malgré sa longueur, grâce à sa précision et à quelques morceaux de bravoure, produit une forte impression, sur le moment, sur les députés présents, mais surtout dans les jours qui suivent. […] L’abandon majeur de souveraineté que constituent l’extension très large du principe de la majorité qualifiée (en lieu et place de l’unanimité des Etats) et la perspective affichée d’une monnaie unique pour 1999 lui paraissent une remise en cause radicale de l’héritage de 1789 et du pacte passé entre le citoyen français et la République. » [François Mitterrand décide en juin d’organiser un référendum. Après une campagne passionnée et incertaine, la ratification du traité est approuvée par 51,05 % des votants le 20 septembre 1992. La déception est immense chez les partisans du « non », mais Séguin a désormais une stature nationale.] « Très à l’aise, il indique ironiquement que « les gens qui votent non ne sont pas des êtres frustes, mal dans leur peau, rétifs à la modernité », qu’il y a même parmi eux des gens qui savent lire et compter, qui ont réfléchi… Il égratigne au passage « les politologues », « profession qui gagnerait à être réglementée par la commission de Bruxelles ». Il relève que les deux tiers des électeurs du RPR ont voté « non », et rappelle qu’il faut renouveler le débat politique dans la foulée, que l’alternance n’a aucun intérêt si elle se limite à un changement d’hommes et n’offre aucune alternative politique. […] Avec Maastricht, Philippe Séguin a sans doute tranché le noeud gordien. Il a démonté les tabous. Il lui reste le passage de la Ligne, l’initiative qui lui permettra de faire refluer le Néant dans lequel le régime, saisi par une sorte de nihilisme autodestructeur, lentement s’engloutit. »
Séguin et Juppé, l’antithèse
« En quoi Séguin est-il gaulliste, et Juppé, dans le fond, ne l’est-il pas ? Juppé est convaincu que le gaullisme a été un moment important de l’Histoire, mais qu’il faut passer à autre chose : l’union de la droite et du centre, l’Europe sans réserve, l’ouverture systématique sur la modernité – sans analyse préalable ni de sa réalité ni de sa profondeur. C’est un croisement de la « Nouvelle Société » de Jacques Chaban-Delmas et de « deux Français sur trois » de Valéry Giscard d’Estaing. C’est l’annonce de la
« nouvelle gouvernance » que portera Jean-Pierre Raffarin, avec un réel talent, au début des années 2000. C’est la pleine réalisation de l’identité politique chiraquienne : les noces de la politique et de la société, mais la société à l’état brut, saisie dans son immédiateté, sans recul, sans prévision aucune des grandes mutations qui sont à l’oeuvre et que l’on baptisera bientôt du nom de mondialisation. C’était le grand programme du parti radical, sorte de juste milieu décrit en son temps par Daniel Halévy →