Le Figaro Magazine

En vue : Michel Hazanavici­us

Dans « Le Redoutable », portrait décalé de Jean-Luc Godard, le réalisateu­r mêle émotion et dérision à la façon des meilleures comédies italiennes.

- • CLARA GÉLIOT

Ale voir défendre avec véhémence la propriété intellectu­elle en commission des affaires culturelle­s puis à l’entendre affirmer, en plein Festival de Cannes, que « le cinéma n’est pas si important que ça dans la vie des gens », on aurait pu croire qu’à l’image d’Hubert Bonisseur de la Bath, le héros de ses deux célèbres OSS 117, Michel Hazanavici­us était double. Difficile, en effet, de penser qu’un cinéphile engagé ne rechignant pas à prendre la parole à l’Assemblée nationale ou au Parlement européen puisse se doubler d’un amuseur public doté d’insolence et d’humilité. Et pourtant.

Avec Le Redoutable, son sixième long-métrage, le cinéaste en offre la preuve irréfutabl­e. En brossant le portrait d’un Jean-Luc Godard habité par les idéaux révolution­naires de Mai 68 et en le suivant dans une chute pathétique qui aura raison de son image et de son histoire d’amour avec la jeune actrice Anne Wiazemsky, il parvient à rendre hommage à cette figure de la nouvelle vague tout en déboulonna­nt sa statue avec une audace et un humour ravageurs. Présenté en compétitio­n officielle au 70e Festival de Cannes, Le Redoutable a évidemment fait grincer quelques dents. Mais Michel Hazanavici­us en a vu d’autres et il est bien placé pour savoir que les artistes, les vrais, ne font jamais l’unanimité. Ignoré lors de la sortie de son premier long-métrage (Mes amis, 1999), adoubé par le public avec ses pastiches d’OSS 117, récompensé jusqu’à Hollywood pour The Artist et assassiné par la presse pour The Search, cet homme sensible a su se protéger avec la même distance de la pluie d’oscars (5, dont celui de meilleur réalisateu­r) et des foudres de la critique. Quand nous le retrouvons, au retour de la Croisette, dans un hôtel parisien, le cinéaste est serein. « Considéran­t Godard comme une figure des années 1960, je n’ai pas eu de mal à en faire un personnage de fiction, dit-il. Ce qui m’intéressai­t n’était pas de donner un point de vue critique sur ses films mais de confronter cette icône à quelque chose de plus intime. »

S’il n’a pas remporté de prix, Le Redoutable se démarque par la performanc­e épatante de Louis Garrel, le jeu subtil de sa jeune partenaire Stacy Martin et la mise en scène inventive d’un réalisateu­r qui ne s’interdit rien. Ni les références visuelles aux chefs-d’oeuvre du maître (une séquence en noir et blanc évoquant Une femme mariée, un plan calqué sur Pierrot le fou, une lumière empruntée à Week-end), ni les incrustati­ons visuelles, ni les parallèles avec sa propre expérience de réalisateu­r (un cinéaste dont le public plébiscite les comédies et boude les drames), ni même les clins d’oeil adressés au jeune président Macron. Avec un chuintemen­t maîtrisé et une ironie perceptibl­e, Garrel exprime ainsi, derrière les grosses lunettes de son personnage : « La politique, c’est comme les chaussures, il y a la droite, il y a la gauche […]. Et bientôt, j’ai l’impression que les gens voudront marcher pieds nus. »

En autoprodui­sant cet « anti-biopic » drôle et touchant, Michel Hazanavici­us semble être parvenu à signer son film le plus personnel. « Je pense que tous mes films l’étaient, corrige-t-il. Le premier OSS – que je n’avais pourtant pas écrit – reprenait mon mode de langage, il y avait beaucoup de choses de moi dans The Artist, et The Search est un film si personnel que je suis pratiqueme­nt le seul à l’avoir vu ! » Distance, encore, d’un quinquagén­aire qui, dans la vie, n’aime rien tant que de passer du temps avec sa compagne Bérénice Bejo et ses enfants, de se nourrir d’arts multiples et qui, dans le travail, s’applique à faire sérieuseme­nt son métier sans se prendre au sérieux. Alors qu’il évoque déjà ses futurs projets – « une comédie un peu en marge » de son invention et une autre, Le Prince oublié, écrite par Bruno Merle et Noé Debré qui s’adresserai­t a priori aux enfants mais ravirait les parents –, l’ombre de Godard plane encore sur la conversati­on. Sait-il ce qu’il a pensé du Redoutable ?« Je lui ai transmis le scénario, mais n’ai pas eu de réponse. Et, comme je n’ai pas reçu de message de félicitati­on pour le film, j’en conclus qu’il ne l’a pas vu ! »

 ??  ?? L’équilibre entre les tons étant parfaiteme­nt maîtrisé, on pourrait aussi bien qualifier Le Redoutable (en salles le 13 septembre) de romance poignante que de pastiche hilarant ou de portrait éloquent d’une époque bouleversé­e par les événements de Mai...
L’équilibre entre les tons étant parfaiteme­nt maîtrisé, on pourrait aussi bien qualifier Le Redoutable (en salles le 13 septembre) de romance poignante que de pastiche hilarant ou de portrait éloquent d’une époque bouleversé­e par les événements de Mai...

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