En vue : Aung San Suu Kyi
Opposante historique à la junte militaire et prix Nobel de la paix en 1991, elle doit faire face à la rébellion armée des musulmans rohingyas.
Il y a vingt-neuf ans, Aung San Suu Kyi était une icône des droits de l’homme. Secrétaire générale de la Ligue nationale pour la démocratie, elle incarnait la résistance face à la junte birmane. Placée en résidence surveillée dans sa villa de Rangoon, elle défiait le pouvoir des militaires en citant le Mahatma Gandhi et faisait ainsi l’admiration des journalistes étrangers. Ce qui lui valut d’être lauréate du prix Nobel de la paix en 1991. Une star internationale, gentille, jolie et anglophone (casting parfait). Son parti ayant remporté les élections en 2015, elle devrait logiquement être présidente, mais la Constitution le lui interdit : elle a épousé un étranger (en l’occurrence, un Britannique) en 1972. Faute de mieux, elle cumule donc le poste de ministre des Affaires étrangères, de conseillère spéciale et de porte-parole du gouvernement. A la tête de l’Etat, elle a placé son homme lige : Htin Kyaw. Mais, dans les coulisses, c’est elle qui fait la pluie et le beau temps. Et justement, la météo actuelle ne lui est pas favorable, loin de là.
La province de l’Arakan, à l’ouest du pays, est à feu et à sang. Les Rohingyas, de confession musulmane et qui s’estiment traités comme des citoyens de seconde zone, se révoltent contre tout ce qui symbolise l’autorité étatique. L’Arsa (Arakan Rohingya Salvation Army) a attaqué plusieurs postes de police à la fin du mois d’août. La toute-puissante armée birmane a riposté brutalement. Bilan : 400 morts (dans les deux camps). Plus de 125 000 Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh voisin. Toutes les belles âmes se sont émues, du pape François aux fonctionnaires de l’ONU en passant par Malala Yousafzai, la lauréate pakistanaise du prix Nobel de la paix en 2014. Celle-ci a déclaré : « Ces dernières années, je n’ai cessé de condamner le traitement dont [les Rohingyas] font l’objet. J’attends toujours de ma collègue prix Nobel Aung San Suu Kyi qu’elle en fasse de même. » Cette mobilisation, aussi légitime soit-elle, ne manque pas de surprendre. En effet, depuis l’indépendance de 1948, la Birmanie, majoritairement bouddhiste et d’ethnie bamar, fait la guerre à ses minorités (135 officiellement recensées). Karens, Kachins, Shans ou Mons – autant de peuples qui guerroient dans l’anonymat depuis des décennies – peuvent en témoigner. Curieusement, leur combat n’avait jamais fait la une des médias. Il est vrai que ces minorités-là sont chrétiennes ou animistes, ce qui n’incite visiblement pas à la compassion… En vérité, quels que soient les anathèmes formulés à son égard, Aung San Suu Kyi est prisonnière des réalités politiques d’un pays où le pouvoir se partage entre le clergé bouddhiste (500 000 bonzes !) et les galonnés de l’état-major. Deux entités au discours ultraidentitaire pour lesquelles birmanité et religion sont indissociables. N’en déplaise au reste du monde.