Le bloc-notes de Philippe Bouvard
Du plus loin que je me souvienne, des politiciens qui souhaitaient attacher leur nom à une loi m’ont, d’année en année, ligoté davantage. J’avais 3 ans lorsqu’on a rendu obligatoire pour les candidats à la maternelle un troisième vaccin. On en est à 11 aujourd’hui. En contrepartie de quoi, j’ai eu, dès la communale, la faculté de parsemer ma blouse grise de taches d’encre violette indélébile mais réglementaire. Par la suite, il y a eu à chaque rentrée une réforme majeure imposant moins souvent la création d’un nouveau progrès que l’annulation d’une amélioration précédente. Les grands manitous de l’Education nationale se sont montrés les plus productifs. Tantôt ils réformaient les programmes, tantôt les horaires, tantôt l’orthographe, tantôt l’histoire de France. Ainsi, Napoléon Ier a-t-il peu à peu disparu. On remplace parfois son épopée par une passionnante fresque économico-politique sur le Ghana moderne. J’étais toujours incapable d’aligner deux mots en anglais, ma première langue, lorsqu’on m’a contraint - sans plus d’efficacité - à en étudier une seconde. Les vacances dont l’actuelle tutelle déplore la fréquence ont plus oeuvré pour la prospérité du tourisme que pour la tranquillité des parents. A partir de 1985, les vacances de demi-trimestre ont fait se succéder sept semaines de travail et deux semaines de repos. Des jours fériés inédits sont apparus en souvenir de guerres récentes. La réforme des examens a abouti à ce que les candidats à une peau d’âne soient surmenés au mois de juin tandis que les autres élèves cessaient prématurément de travailler. Seule constante : le respect de toutes les fêtes religieuses par l’Etat laïc. Cependant, bien que les syndicats aient organisé ici et là de petites Saint-Barthélemy de législateurs, l’éducation remaniée a compté moins de victimes que la religion réformée. La réforme la plus douloureuse et, paraît-il, la plus coûteuse a permis le passage du franc à l’euro auquel de nombreux traditionalistes âgés ne se sont toujours pas habitués. L’obligation de posséder un compte bancaire et l’interdiction des chèques au porteur n’ont rien simplifié en dématérialisant l’argent qu’on gagne aussi bien que celui qu’on dépense. Pendant ce temps-là, les technocrates de Bruxelles confisquaient aux peuples souverains leurs droits de faire la fête en s’endettant. On s’est également attaqué - de quoi je me mêle ? – aux moeurs : mariage pour tous afin de faciliter les amours homosexuelles ; pénalisation des clients afin de rendre plus difficiles les amours tarifées. Qui se souvient que le droit d’épouser un copain de régiment avait mobilisé des millions de manifestants alors que la mesure n’a profité jusqu’ici qu’à 33 000 personnes ? Eternelles vaches à lait, les automobilistes ont été de plus en plus traits. Pourtant, la vignette destinée à venir en aide aux vieux qui obscurcit un temps leur pare-brise était contraire au principe du tronc commun des finances publiques. L’augmentation des taxes et des contrôles a été de pair avec la diminution de la vitesse autorisée qui atteint (façon de parler) 30 kilomètres à l’heure dans certaines agglomérations. Bonne fille, l’interdiction du diesel attendra 2040 mais le gazole coûtera aussi cher que l’essence avant trois ans. Je ne sais pas où en est légalement la réforme encourageant les cyclistes à emprunter les sens interdits pour s’essuyer le nez sur mon capot mais elle est toujours vivace dans certains arrondissements parisiens.
Après la suppression de l’abattement fiscal pour les journalistes, j’ai connu une vingtaine de réformes diligentées par la direction des impôts, chacune chargeant un peu plus la mule et la dernière m’intimant de remplir la paperasse à l’aide d’un ordinateur dont je ne sais pas me servir. La réforme instituant l’ISF en 1982, la supprimant en 1987 puis la rétablissant en 1990, a encore de beaux jours en perspective. De grâce, n’en jetez plus ! L’autorisation administrative de licenciement n’a fonctionné que onze ans, plus longtemps que la défiscalisation des heures supplémentaires qu’on envisage de rétablir. Mais ce sont les congés payés qui, depuis le Front populaire, nous ont donné le plus le tournis. De une à cinq semaines. Excusez du peu car ce n’est sans doute pas fini. En matière d’immobilier, hardi petit ! La traque des termites et des mérules, la chasse à l’humidité, au plomb, à l’amiante ont ralenti les tractations tandis qu’aux termes de la loi Carrez, les citoyens de 1,75 mètre se voyaient offrir une inutile hauteur de plafond. Côté retraite, nous avons été gâtés : à 60 ans, à 62 ans, à 65 ans, à 67 ans et j’en passe. Le plus raisonnable a été Lionel Jospin qui, lorsqu’il était à Matignon, s’est bien gardé d’ouvrir le dossier. Une réforme de moins, ça ne se refuse jamais. Je regrette de devoir passer à la trappe, faute d’espace, la réforme abaissant de 22 à 13 le nombre des Régions qui n’a pas permis d’économiser un euro, le renvoi aux calendes de la retenue à la source pourtant déjà votée et la réforme (signée Macron) ayant valu au commissairepriseur de devenir commissaire de justice. Adjugé ! Bref, loin d’avoir traîné les pieds comme le Président nous en accuse, nous avons continué à marcher avec de plus en plus de boulets aux chevilles.
… moins souvent un progrès nouveau que l’annulation d’une amélioration précédente