L’éditorial de Guillaume Roquette
Bien sûr, il y a eu des concessions. A commencer par la place prépondérante laissée aux branches professionnelles au détriment des entreprises pour les négociations sociales. Mais, globalement, le compte y est : la loi travail que le gouvernement s’apprête à faire passer par ordonnances est d’orientation clairement libérale. Entre flexibilité et sécurité, le pouvoir a choisi son camp. Mais le plus incroyable dans cette histoire est qu’il semble ne pas avoir été le seul : entre la modération syndicale (à l’exception de la toujours nuancée CGT, qui affirme sans rire que « c’est la fin du contrat de travail ») et l’adhésion de l’opinion dont témoignent les sondages, on ne reconnaît plus notre cher vieux pays. Les Français se seraient-ils - enfin - convertis aux réformes, rompant avec un demi-siècle de conservatisme social, de manifestationisme aigu et de défiance systématique envers tout ce qui ressemble à une demande patronale ?
Le succès du gouvernement sur ce dossier est d’abord l’échec des syndicats, qui n’ont pas compris que le monde avait changé. Ils sont restés prisonniers de leur vieille logique, confondant la protection des salariés avec une défense désespérée des acquis d’un autre temps. Mais ce conservatisme a démontré son inefficacité : toutes les manifestations et les oppositions systématiques aux réformes n’ont pas empêché une hausse continue du chômage depuis le début de la crise financière de 2008, jusqu’au pic atteint en 2015.
Les Français semblent avoir enfin compris qu’il fallait en finir avec les vieux réflexes de la lutte des classes. L’affrontement aujourd’hui n’est plus entre méchants patrons et malheureux salariés mais entre ceux qui s’adaptent aux dures règles du monde nouveau, globalisé et digitalisé, percuté par une innovation technologique constante et les autres qui meurent inéluctablement, sans qu’aucune séquestration de dirigeant ni occupation d’usine ne puisse empêcher quoi que ce soit. Dans la guerre de mouvement qu’est devenu le capitalisme, la flexibilité introduite par la nouvelle loi travail est la meilleure protection. D’autant qu’elle est loin de faire des salariés français les nouveaux damnés de la terre : les ordonnances du docteur Macron, rappelons-le en passant, n’ont rien d’un remède de cheval. Elles ne s’attaquent ni au temps de travail ni aux minima salariaux, contrairement aux réformes sociales mises en oeuvre au Royaume-Uni ou en Allemagne.
Raison de plus pour prédire sans trop de risque de se tromper l’échec de la contre-offensive organisée par Philippe Martinez et Jean-Luc Mélenchon. La CGT aura du mal à mobiliser au-delà de ses manifestants habituels, aussi bruyants que peu concernés par la réforme tant ils sont protégés par des statuts en or massif. Quant au leader de la France insoumise, on peut penser que ses outrances quotidiennes, ses fulminations permanentes auront bientôt achevé de le discréditer auprès de tous les Français doués de raison.
DANS LE CAPITALISME D’AUJOURD’HUI, LA FLEXIBILITÉ EST LA MEILLEURE PROTECTION