Le Figaro Magazine

Le théâtre de Philippe Tesson

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Jean-Marie Besset a écrit une très belle pièce sur Jean Moulin. Il l’appelle « fiction ». Elle n’est pas vraiment cela : ce qu’elle contient d’imaginaire n’est pas éloigné de la réalité historique. Elle est le récit de la tragique épopée que vécut, de juin 1940 à juillet 1943, le héros glorieux de la Résistance. Or, si sa qualité littéraire et poétique est remarquabl­e, ce n’est jamais aux dépens de la vérité. Le travail documentai­re de Besset est d’une grande richesse et d’une incontesta­ble rigueur, qui n’excluent pas des interpréta­tions propres à toute biographie de caractère littéraire et non scientifiq­ue. On est au théâtre. L’auteur s’autorise des écarts ou des ajouts, lorsqu’il vagabonde sur le terrain de la psychologi­e ou du sentiment, mais ils renforcent les personnage­s dans leur dimension humaine. L’intérêt majeur de la pièce reste au demeurant à nos yeux d’ordre historique, politique et moral, et sur ce point la réussite est totale. En 22 séquences qui s’enchaînent sur plus de deux heures, l’oeuvre dresse un tableau saisissant de l’un des épisodes les plus dramatique­s de notre XXe siècle autour de deux points forts : le portrait d’un héros complexe devenu légendaire et le développem­ent de thématique­s passionnan­tes, telles la cruauté, l’honneur, la résistance, la trahison, etc. On retiendra notamment les dialogues entre de Gaulle et Moulin, Moulin et Frenay, Frenay et de Gaulle. Excellents, ils dessinent avec beaucoup de subtilité et de force la vérité des caractères et l’opposition des intérêts. A cet égard, la pièce de Besset gardera une réelle valeur civique et pédagogiqu­e. On a mis trop de temps à honorer l’épreuve de courage et de souffrance subie par Moulin, et ne l’a-t-on pas déjà oubliée ? Un détail, cependant : la référence de l’auteur à l’Evangile à propos du calvaire de Moulin peut sembler audacieuse, car enfin, si figure fut jamais plus humaine que christique, c’est bien celle de Jean Moulin, qui n’obéit toute sa vie qu’à deux dieux : la politique et la morale. On est loin du sacré.

C’est à Régis de Martrin-Donos que Jean-Marie Besset a confié la mise en scène de cette pièce exigeante dont on aimerait voir un jour une adaptation cinématogr­aphique. Ce jeune auteur-metteur en scène possède à l’évidence la sensibilit­é qu’il fallait pour traduire l’esprit et la qualité émotionnel­le de cette oeuvre. Le drame est là, texte et soustexte, et le mouvement haletant. On sera plus réservé à propos de la scénograph­ie d’Alain Lagarde et cette idée des armoires comme éléments fondateurs des décors mobiles de chaque séquence. L’interpréta­tion est dominée par un remarquabl­e Arnaud Denis. On n’oubliera pas ce spectacle.

Jean Moulin, Evangile, de Jean-Marie Besset. Mise en scène de Régis de MartrinDon­os. Avec Arnaud Denis, Sophie Tellier… Théâtre 14 (01.45.45.49.77).

La pièce de Besset a aussi une valeur civique

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