La mélancolie d’un homme et l’épuisement
« Séguin s’est opposé, dans chacune des fonctions qu’il a occupées et avec les moyens dont il disposait, au processus de sécularisation de la Ve République – entendez la désacralisation, puis l’évidement progressif de ses institutions, entrepris, pour l’essentiel, par ceux qui étaient présumés être leurs gardiens et leurs héritiers. [Sa démission de la présidence du RPR, en 1999] aurait pu être l’occasion rêvée d’échapper au bourbier politique où il avait été si près de se perdre. Il pouvait prendre du recul […] Mais en dépit de ses immenses qualités intellectuelles, de sa personnalité puissante et de son sens inné des institutions, Philippe Séguin n’a pas la stupéfiante force de caractère ni la capacité absolue de détachement du général de Gaulle. Sa carrière politique s’accomplit à l’âge de la communication et des grands médias : il est lui aussi dominé par l’idée qu’un homme politique qui se tait est un homme politique qui s’éteint. […] [En outre], une certaine énergie s’est tarie le jour où il a renoncé à la mairie d’Epinal, à cette ville où, en venant, il trouvait toujours moyen d’échapper aux influences délétères du milieu politique parisien, où il était toujours lui-même : hyperactif, insupportable, solitaire, mais étonnamment libre, seul empereur en son royaume. [Désormais] Séguin est profondément fatigué : pendant toute sa vie, il passera par des moments d’épuisement intense, entrecoupés de périodes plus calmes et physiquement plus sereines. L’abus constant et récurrent du tabac, la pratique irrégulière et souvent inconséquente de régimes alimentaires qui l’éreintent, les infections pulmonaires répétées et les difficultés respiratoires y afférentes – il aura plusieurs malaises graves, des hospitalisations –, la pratique fort épisodique et erratique d’une activité sportive incertaine (on parlera du monumental équipement de musculation installé à l’hôtel de Lassay) : tout cela donne un Séguin au volume toujours imposant, mais avec des variations parfois fortes et significatives dans l’imposant – le visage parfois frais et soigné, mais, en d’autres jours, accablé par la fatigue et les cernes. Et pour couronner cet ensemble, des colères retentissantes, des phases courtes, mais spectaculaires, de mutisme, de dépression ou de découragement – le tout attentivement épié, obser vé, rapporté, et interprété par les innombrables exégètes qui l’entourent. »