Le Figaro Magazine

DE QUOI FROISSER L’ÉLÉGANCE…

- DU TAILLEUR SCAVINI

Durant de nombreuses décennies, la grande obsession des tailleurs fut d’obtenir des vêtements les plus nets possible. Vestes et pantalons apparaissa­ient alors comme sculptés avec des lignes précises et soutenues. Aucune pliure ne venait ternir l’image de l’ensemble. Les grands maîtres s’appuyaient sur deux éléments pour réaliser cet exploit : des tissus lourds et denses qui tombaient parfaiteme­nt, et des techniques de coupe à la pointe faisant la part belle à l’aisance. Les années 1950 sont l’âge d’or de ces mises impeccable­s.

Avec le temps, cette acmé s’estompe peu à peu. D’une part, les tissus fins proposés par les drapiers ne se tiennent plus autant. La finesse et la légèreté recherchée­s s’opposent à la netteté ; la fluidité devenant le maître mot. D’autre part, on ne coupe plus les vêtements comme avant. Les allures de stentors à la Gabin ont laissé place aux lignes plus près du corps. Or, le corps n’est pas parfait, comment dès lors les vestes pourraient­elles l’être ? Au fil du temps, les rembourrag­es, ouates et épaulettes, oripeaux baroques d’un corps triché et rêvé, ont été abandonnés. L’excellence du métier, surtout, a disparu. Ceux qui restent comme Camps De Luca, Cifonelli ou Berluti arrivent toujours à une sorte de perfection digne des dieux, mais pour un coût digne de l’Olympe.

Les hommes aussi ont changé de goût. L’invention de la machine à laver domestique peut-être vue comme le point d’inflexion de cette évolution.

Le travail du tambour nécessite que les vêtements soient robustes. La laine n’aime pas être traitée ainsi. De plus, le prêt-à-porter pour tout et tous a gommé l’idée des ajustement­s précis. Le coton et les matières synthétiqu­es sont massivemen­t entrés dans la garde-robe masculine. Les chemises, même parfaiteme­nt repassées, se plissent et proposent une surface comme talochée. Les chinos et jeans n’arborent plus le pli. De leur côté les mailles, pulls et polos sont lâches, naturels sur le corps. Quant aux parkas, doudounes et autres vêtements techniques, ils sont surtout pratiques avant d’être beaux.

Avec le nouveau millénaire, le froissé devient admis. Et c’est sans parler du laisser-aller…

Les jeans n’arborent plus le pli

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